Environnement: 16 recommandations pour une sobriété numérique au Québec

Stéphane Blais, La Presse Canadienne
Environnement: 16 recommandations pour une sobriété numérique au Québec

MONTRÉAL — La Commission de l’éthique en science et en technologie (CEST) met en garde le gouvernement sur les effets néfastes des technologies numériques sur l’environnement et présente 16 recommandations destinées à accompagner les décideurs publics dans une démarche de sobriété numérique.

La CEST demande au gouvernement du Québec de reconnaître les limites de la numérisation comme stratégie de lutte contre les changements climatiques, de renforcer les normes environnementales entourant les technologies et de s’engager fortement dans la lutte contre toutes les formes d’obsolescence des technologies.

Ce ne sont que quelques exemples des 16 recommandations contenues dans l’avis publié mardi par cet organisme du gouvernement dont la mission consiste à conseiller les élus et sensibiliser le public sur les enjeux éthiques en science et en technologie.

Un impact insoupçonné

Cet avis a été rédigé «car de plus en plus de voix dans le monde se posent des questions sur l’impact environnemental des technologies numériques», a indiqué le chercheur Martin Deron, l’un des experts consultés par les auteurs de l’avis.

Le rapport de plus de 100 pages explique notamment que la terminologie associée au numérique laisse croire à tort que ces technologies ont peu de conséquences matérielles. On utilise en effet des termes comme virtuel, dématérialisation ou alors infonuagique.

«Mais le « cloud » n’a en fait rien d’un nuage» et «le numérique repose sur une infrastructure gigantesque, des terminaux utilisateurs jusqu’aux immenses centres de données rendus nécessaires par la multiplication incessante de la quantité d’information produite et partagée, en passant par d’innombrables objets connectés et de capteurs, antennes-relais, câbles souterrains et sous-marins, chacun se multipliant au rythme de l’adoption d’innovations telles que la 5G, les chaînes de blocs et l’intelligence artificielle», soulignent les auteurs.

«On estime que le numérique aujourd’hui représente entre 3 à 5 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, donc, on est déjà dans des proportions qui sont similaires à l’aviation civile» et cette empreinte numérique est en forte croissance a ajouté Martin Deron, chargé de projet pour le défi numérique de Chemins de transition, un projet de recherche affilié à l’Université de Montréal.

Transparence

La commission recommande que le gouvernement du Québec légifère afin de rendre obligatoire la divulgation «du plus grand nombre possible de données», afin de permettre de bien évaluer les impacts environnementaux du cycle de vie des technologies numériques qui sont vendues sur son territoire et des services numériques en ligne utilisés dans la province.

«Quand on essaye de quantifier les impacts liés aux technologies numériques, on a beaucoup de misère à avoir accès aux chiffres», a expliqué Martin Deron.

Les entreprises qui fabriquent les téléphones intelligents, ou alors celles qui mettent en marché les systèmes d’intelligence artificielle, divulguent très peu d’information relative à leur empreinte environnementale.

Les données qui concernent la consommation d’eau, d’énergie et de métaux rares, les émissions de gaz à effet de serre, les lieux où circulent et sont stockées les données, sont des exemples d’information que les chercheurs ont de la difficulté à obtenir.

Également, a ajouté le chercheur Martin Deron, «contrairement à l’Europe, où c’est beaucoup plus documenté, on ne sait pas combien d’appareils connectés sont importés au Québec».

Il faut donc «légiférer pour rendre accessibles ces chiffres-là qui sont nécessaires pour nous aider à quantifier davantage les impacts des technologies numériques sur l’environnement», a indiqué M. Deron.

Responsabilité politique à l’endroit de la sobriété numérique

Le comité estime que le gouvernement doit adopter une démarche de sobriété numérique, «qui appelle à revoir les modes de production et de consommation, et les modèles d’affaires de l’industrie du numérique afin de rendre son utilisation compatible avec les limites planétaires».

Une telle démarche passe notamment par le renforcement de règlements et de lois de manière à «favoriser l’optimisation des ressources, le réemploi, la réparation et le recyclage des appareils numériques».

Le comité souligne que depuis 2023, la «Loi protégeant les consommateurs contre l’obsolescence programmée et favorisant la durabilité, la réparabilité et l’entretien des biens» constitue un pas vers une plus grande sobriété numérique.

Toutefois, les auteurs de l’avis déplorent que cette réglementation ne prévoie pas d’indice de réparabilité ou de durabilité des produits.

Un tel indice, selon l’avis, «permettrait aux consommateurs de faire des choix éclairés en favorisant l’achat de produits soutenables et d’encourager la responsabilisation des producteurs face à l’impact environnemental des produits qu’ils mettent en marché».

Solutionnisme technologique

L’avis met également en garde le gouvernement contre le «solutionnisme technologique», qui représente un autre facteur qui accroît le poids de l’impact environnemental des technologies.

Selon cette approche, soulignent les sauteurs, tout problème humain aurait une solution technologique.

«Il s’agit du discours optimiste promu dans tous les secteurs de l’économie, y compris par les entreprises qui œuvrent dans le numérique», mais dans les faits, la technologie n’est pas toujours le bon remède et «tend à favoriser des solutions vulnérables aux effets rebonds ou au déplacement des impacts», peut-on lire dans l’avis.

L’effet rebond représente un effet contraire au résultat visé.

Par exemple, lorsqu’un fabricant de téléphones intelligents augmente l’efficacité de la batterie d’un appareil, les usagers ne vont pas nécessairement diminuer la fréquence de chargement de leur téléphone. C’est même souvent l’effet contraire qui se produit: l’efficacité de la batterie permet le développement de nouvelles applications, donc de nouveaux usages qui entraînent une augmentation de l’énergie utilisée.

De la même façon, l’implantation d’antennes 5G sur un territoire, qui consomment moins d’énergie que les antennes 4G, peut se traduire par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES), en raison notamment de la fabrication d’une multitude d’objets qui seront connectés et de la consommation énergétique qui s’en suivra.

La Commission de l’éthique en science et en technologie recommande également que le gouvernement encourage la création «d’espaces favorisant l’augmentation de la littératie numérique, la participation citoyenne dans la démarche de sobriété numérique», qu’il «réalise des campagnes de sensibilisation et d’information visant l’ensemble de sa population quant aux effets environnementaux positifs et négatifs du numérique».

Elle recommande aussi que le ministère de l’Éducation du Québec et le ministère de l’Enseignement supérieur s’assurent de «l’intégration des considérations environnementales liées au numérique dans l’ensemble des programmes scolaires de la province».

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