L’APN vote contre l’accord de 47,8 milliards $ sur la protection de l’enfance

Alessia Passafiume, La Presse Canadienne
L’APN vote contre l’accord de 47,8 milliards $ sur la protection de l’enfance

OTTAWA — Les chefs des Premières Nations ont voté contre un accord historique de 47,8 milliards $ sur la réforme de la protection de l’enfance, conclu en juillet avec le gouvernement canadien.

Lors d’une assemblée spéciale des chefs à Calgary organisée par l’Assemblée des Premières Nations, 267 des 414 chefs ont voté contre une résolution en faveur de l’accord après un long débat qui a été parfois chargé d’émotion alors qu’ils se disputaient pour ou contre.

Des résolutions restent à l’ordre du jour pour la dernière journée de la réunion vendredi, notamment celle d’accorder aux chefs 90 jours supplémentaires pour examiner l’accord, ce qui amènera un autre vote, cette fois en janvier.

L’accord a été conclu entre le Canada, les chefs de l’Ontario, la nation Nishnawbe Aski et l’Assemblée des Premières Nations après une bataille juridique de près de deux décennies concernant le sous-financement par le gouvernement fédéral des services de protection de l’enfance dans les réserves.

Le Tribunal canadien des droits de la personne a déclaré que cette décision était discriminatoire.

Il a demandé au gouvernement du Canada de parvenir à un accord avec les Premières Nations pour réformer le système et indemniser les enfants qui ont été arrachés à leurs familles et placés en famille d’accueil.

Les chefs et les fournisseurs de services ont critiqué l’accord pendant des mois, affirmant qu’il n’allait pas assez loin pour garantir la fin de la discrimination, et ont fustigé le gouvernement fédéral pour ce qu’ils considèrent comme son incapacité à consulter les Premières Nations lors des négociations.

«Tout est sur la table»

Cindy Blackstock, directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, qui a contribué à présenter la plainte initiale pour atteinte aux droits de la personne, a affirmé avant le vote que les chefs peuvent faire mieux que l’accord qui a été conclu et qu’elle ne peut pas l’approuver.

«Je veux voir un jour où nous mettrons fin à la discrimination et où elle ne se reproduira plus – et nous pouvons y arriver», a dit Mme Blackstock. «Pas dans longtemps ; nous avons tous les outils pour y arriver.»

La cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations a souligné mercredi et jeudi que ce n’était pas le cas, affirmant qu’un changement de gouvernement pourrait remettre en question les réformes, tandis que Mme Blackstock a souligné que les réformes sont requises par un ordre juridique, et non par une volonté politique.

«J’ai vécu les années Harper, et le Tribunal canadien des droits de la personne a survécu aux années Harper», a-t-elle rappelé, faisant référence à l’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper. «Tout est sur la table.»

Dans une autre allocution, Cindy Blackstock a fustigé le gouvernement fédéral pour ce qu’elle a appelé un manquement à son devoir de consulter les Premières Nations pendant les négociations et après la publication de l’accord.

«Où est le Canada?», a-t-elle demandé.

Dans une déclaration mercredi, un porte-parole du ministre des Services aux Autochtones a déclaré que le ministère ne dirait pas aux organisations des Premières Nations comment mobiliser leurs propres membres.

L’Assemblée des Premières Nations n’est pas une organisation détentrice de droits, mais plutôt un forum où 630 chefs détenteurs de droits à travers le Canada peuvent défendre leurs préoccupations.

Le gouvernement fédéral a le devoir de consulter les Premières Nations lorsque ses actions pourraient affecter leurs droits.

«C’est un accord qui n’arrive qu’une fois»

Carolyn Buffalo, une mère de la Première Nation du Montana à Maskwacis, en Alberta, était l’une des plaignantes représentatives dans le recours collectif des familles du principe de Jordan.

Le principe de Jordan est une règle juridique nommée en l’honneur de Jordan River Anderson, un enfant des Premières Nations né en 1999 avec de multiples problèmes de santé qui l’ont gardé à l’hôpital depuis sa naissance. Il n’a quitté l’hôpital qu’à sa mort, à l’âge de cinq ans, et les gouvernements n’avaient pas pu s’entendre sur qui devrait payer ses soins à domicile.

Le fils de Mme Buffalo, Noah, est atteint de paralysie cérébrale et nécessite des soins continus. Mais Ottawa a rendu ces soins difficiles pour lui dans la réserve.

S’exprimant en larmes lors de l’assemblée, plus tôt jeudi, cette mère a dit qu’elle pensait que les chefs voteraient contre l’accord sur lequel elle et d’autres ont travaillé pendant des années. Elle a déclaré que les enfants seraient laissés sans protection si l’accord était rejeté.

«Je ne voulais même pas venir à cette assemblée parce que je savais que, politiquement, ce serait difficile», a-t-elle confié. «Est-ce que je fais confiance à l’APN? Non. Est-ce que je fais confiance au gouvernement libéral? Non, mais je suis favorable à ce processus juridique. C’est pourquoi nous avons accepté d’y adhérer et d’y participer. Si je pensais une seule seconde que cela allait nuire à notre peuple, je ne participerais pas à cela… allez-y, faites échouer l’accord. Mais si l’accord est perdu, souvenez-vous simplement de ce que j’ai dit.»

Une autre plaignante, Ashley Bach, a été expulsée de sa communauté alors qu’elle était enfant. Elle a exhorté les chefs à se rappeler que de nombreux enfants pris en charge regardent l’assemblée, même si le sujet est traumatisant pour eux et que certaines conversations ont été hostiles.

«C’est un accord qui n’arrive qu’une fois dans l’enfance, car si nous tardons trop, nous allons perdre une autre génération», a-t-elle expliqué. «Si nous attendons des années et des années pour parvenir à un accord parfait, ils ne seront plus des enfants. Ils seront comme moi.»

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