TORONTO — Des experts du logement affirment que plusieurs idées ayant fait leurs preuves ailleurs mériteraient d’être appliquées au Canada.
Ils soutiennent que l’adoption généralisée de logements abordables soutenus par le gouvernement, la croissance de modèles alternatifs, tels que les coopératives et les cohabitations, et l’utilisation accrue de techniques de construction avancées pourraient jouer un rôle dans l’amélioration du système.
Ces idées, qui ont commencé à gagner du terrain au pays ces dernières années, sont déjà bien implantées dans de nombreuses régions d’Europe.
«Il existe de nombreux exemples très intéressants dont le Canada peut s’inspirer», déclare Carolyn Whitzman, chercheuse principale à la School of Cities de l’Université de Toronto et auteure de l’ouvrage «Home Truths: Fixing Canada’s Housing Crisis».
La situation dans certains endroits comme Vienne, où un quart des habitants vivent dans des logements sociaux, est le fruit de circonstances historiques très particulières, mais d’autres régions montrent ce qu’il est encore possible de faire aujourd’hui.
La France s’est engagée à faire en sorte que 20 % de ses logements soient «non marchands», qu’ils soient subventionnés ou non par l’État, en combinant l’achat d’immeubles et la construction de nouveaux bâtiments. Elle a déjà atteint la barre des 17 %, tout en réussissant à intégrer les logements dans les quartiers existants afin de préserver la diversité, indique Mme Whitzman.
Elle rappelle que le Canada avait adopté les mêmes objectifs de construction hors marché dans les années 1970, mais que cette approche a été abandonnée dans les années 1990, lorsque le gouvernement fédéral s’est désengagé de la construction de logements et que les financements se sont taris.
Des pays comme la France, le Danemark et l’Autriche ont élaboré des plans de financement à plus long terme pour les logements abordables en mettant en place des systèmes dans lesquels les gouvernements accordent des prêts subventionnés qui, une fois remboursés des dizaines d’années plus tard, sont ensuite réutilisés pour en construire de nouveaux.
«Ce type de fonds renouvelable est une sorte d’étalon-or, car il signifie que la politique est durable. Il faut penser à des échéances de 30 ans», souligne Mme Whitzman.
Selon les données les plus récentes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le système danois a permis de créer environ 21 % de logements «non marchands» en 2022. Le Canada a environ 3,5 % de logements «non marchands», selon l’OCDE.
Le gouvernement fédéral a mis en place de nombreux programmes de financement pour augmenter le nombre de logements, notamment un programme de prêts à la construction d’appartements de 55 milliards $, un fonds pour le logement abordable de 14 milliards $ et 4 milliards $ pour l’initiative de logement rapide.
Si certains programmes, comme l’initiative de logement rapide, ciblent spécifiquement les personnes ayant de graves besoins en matière de logement, Mme Whitzman estime que, dans l’ensemble, les programmes gouvernementaux n’en font pas assez pour les personnes à faible revenu, en partie à cause d’une définition vague de ce qu’est réellement un logement abordable.
«Certains prétendent qu’à terme, si l’offre est suffisante, elle se répercutera sur les personnes à faibles revenus, mais cela prendrait 30 ou 40 ans, alors que nous connaissons actuellement une crise du logement», explique-t-elle.
Un financement constant et des engagements à long terme en faveur du logement «non marchand» permettent également aux constructeurs de logements «non marchands» de se développer suffisamment pour devenir plus durables. En Finlande, pays pionnier de l’approche «logement d’abord» pour mettre fin à l’itinérance, qui consiste essentiellement à fournir un logement à toute personne qui en a besoin, l’organisation à but non lucratif Y-Foundation est le quatrième plus grand propriétaire du pays.
Le Canada compte quelques grands constructeurs de logements, mais il y a de la place pour la croissance et la consolidation, croit Mme Whitzman.
«La diversité est vraiment essentielle»
Selon Sasha Tsenkova, professeure à l’école d’architecture, de planification et d’urbanisme de l’Université de Calgary, l’offre de logements hors marché et une plus grande variété d’options de logement en général contribuent à rendre l’ensemble du système de logement plus stable.
«La diversité est vraiment essentielle pour la résilience», indique-t-elle.
La diversité de l’offre de logements, qui comprend des locations hors marché, des locations sur le marché avec sécurité d’occupation et contrôle des prix, ainsi qu’une variété de types de logements à acheter, réduit la pression pour entrer sur le marché et permet une progression plus stable dans l’échelle du logement, ajoute-t-elle.
«Les gens ne sont pas forcés de faire le choix de devenir propriétaires», affirme Mme Tsenkova.
En créant des politiques qui rendent l’accession à la propriété moins nécessaire, on s’éloigne de la mentalité axée sur les actifs qui prévaut au Canada, souligne-t-elle.
La diversité des types de logement peut également favoriser la croissance dans des domaines tels que les coopératives, qui se déclinent en plusieurs modèles, ou les cohabitations, qui sont des développements axés sur la communauté où les logements sont détenus individuellement, mais où l’accent est mis sur les espaces communs. Le gouvernement fédéral a injecté 1,5 milliard $ pour la création d’un plus grand nombre de coopératives d’habitation, tandis que le cohébergement gagne également du terrain.
«Il est important que les Canadiens sachent qu’il existe de nombreuses autres façons de vivre. Il ne s’agit pas seulement de louer un appartement ou d’être propriétaire d’un logement individuel ou d’une maison individuelle», déclare Ren Thomas, professeur associé à l’école d’urbanisme de l’Université Dalhousie.
Outre les différents types de propriété, il y a aussi de l’innovation du côté de la construction des bâtiments, soutient M. Thomas, notant que des pays comme la Suède ont largement adopté des techniques de construction modulaire qui rendent la construction plus rapide et potentiellement moins coûteuse.
«Les techniques de construction utilisées dans certains pays en Europe sont très avancées et, bien sûr, ils ont les normes européennes de durabilité, ils sont plus préoccupés par le changement climatique», souligne-t-il.
Le Canada s’efforce de développer la construction modulaire, mais, pour réussir, il faut aussi des engagements à long terme et une demande stable.
Les pays européens sont cependant loin d’avoir résolu la pénurie de logements, puisqu’il n’y a pas de solution facile à ce problème.
Alors que le Canada multiplie les programmes, les résultats sont pour l’instant mitigés après tant d’années d’absence dans ce domaine, selon Mme Whitzman.
«C’est en partie dû au fait que le gouvernement fédéral a été absent de la politique du logement pendant trois décennies et qu’il a commis beaucoup d’erreurs. Nous en sommes seulement aux premiers pas.»