OTTAWA — Le ministre des Langues officielles, Randy Boissonnault, refuse de dire s’il croit que le plus haut tribunal du pays devrait traduire en français les jugements unilingues anglais qu’il a rendus avant 1969, comme le recommande le Commissaire aux langues officielles.
«Ça, c’est une question pour la Cour suprême. Moi, je veux que les jugements soient traduits et ça c’est très important», d’abord répondu M. Boissonnault, mardi, à son arrivée à la réunion du conseil des ministres.
Appelé à clarifier sa pensée, le ministre a affirmé à La Presse Canadienne après la rencontre qu’il est «dans l’impossibilité» de donner son opinion là-dessus.
«Il y a un procès devant les tribunaux, devant la Cour fédérale, et donc, moi, je ne peux pas commenter pendant que ça s’effectue», a-t-il déclaré.
L’organisme Droits collectifs Québec a déposé vendredi dernier une poursuite contre le Bureau de la Registraire de la Cour suprême du Canada, vu que le plus haut tribunal refuse de traduire les jugements en question.
L’organisme veut démontrer que nul n’est au-dessus des lois – celle sur les langues officielles dans ce cas-ci –, y compris les institutions, et ce, peu importe à quel point elles sont puissantes.
Fait amusant, le secrétaire parlementaire du ministre Boissonnault, Marc Serré, juge qu’«en tant que gouvernement, on devrait quand même pousser, recommander à la Cour suprême de faire la traduction».
Selon lui, cette tâche n’a pas à être réalisée dans les prochains mois et peut s’échelonner sur quelques années, pourvu qu’un plan soit en place.
Or, lorsque La Presse Canadienne lui a signalé une deuxième fois que son ministre est bien plus ambivalent, M. Serré a précisé qu’il s’exprimait «en tant que député, en tant que Franco-Ontarien» et qu’il ne fait pas partie du conseil des ministres.
«Il faut être cohérent»
L’opinion des partis d’opposition, elle, est on ne peut plus claire quant à l’idée de traduire les jugements rendus depuis la Confédération.
«Absolument», a répondu du tac au tac Joël Godin, le porte-parole conservateur en matière de langues officielles. Il en fait une question de «cohérence» et de «respect».
Son homologue bloquiste, Mario Beaulieu, a plaidé être «tout à fait d’accord» étant donné que les chercheurs, avocats et légistes francophones ne peuvent actuellement avoir accès à ces jugements uniquement en anglais.
«C’est la Cour suprême! La Cour suprême devrait respecter la Loi sur les langues officielles», s’est-il insurgé.
Au Nouveau Parti démocratique (NPD), le chef adjoint, Alexandre Boulerice, a répondu que la traduction des jugements depuis la Confédération serait «un truc assez minimum».
Quant aux courbatures du ministre à l’idée de commenter, «c’est une façon de se défiler», a estimé M. Godin du Parti conservateur. «C’est quoi ses valeurs et ses principes, a-t-il poursuivi. Ça démontre qu’il ne tient pas au bilinguisme canadien anglais-français.»
Au Bloc, on juge que cela reflète «l’attitude des libéraux en général» qui évitent de se prononcer.
Et au NPD, M. Boulerice a dit qu’il «ne voi(t) pas pourquoi il ne serait pas capable de se prononcer parce que c’est devant les tribunaux». «C’est un truc de base là», a-t-il lancé.
Dans son rapport préliminaire d’enquête déposé en juin dernier et son rapport final présenté en septembre, le Commissaire aux langues officielles concluait que le fait de ne pas traduire les jugements antérieurs à 1969 constituait une infraction à la Loi sur les langues officielles.
Son rapport final donnait 18 mois au plus haut tribunal pour corriger la situation, mais la Cour suprême n’a posé aucun geste en ce sens, le juge en chef Richard Wagner ayant déjà signifié son opposition.