Conflits portuaires: Ottawa demande d’imposer un arbitrage exécutoire

Michel Saba, La Presse Canadienne
Conflits portuaires: Ottawa demande d’imposer un arbitrage exécutoire

OTTAWA — Le ministre fédéral du Travail, Steven MacKinnon, a demandé au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) d’imposer un arbitrage exécutoire dans les conflits aux ports de Montréal, de Québec et de la Colombie-Britannique et d’ordonner du même souffle le retour au travail des employés.

«Il y a une limite à l’autodestruction économique que les Canadiens sont prêts à accepter», a déclaré M. MacKinnon, lors d’un point de presse à Ottawa, mardi.

Selon lui, les conséquences de l’impasse sur l’économie sont «disproportionnées» en regard des enjeux de ces négociations collectives. Partout, il note que «les parties font preuve d’un manque d’urgence alarmant».

Des lock-out successifs ont récemment été décrétés par les employeurs dans les terminaux à conteneurs de la Colombie-Britannique, y compris ceux de Vancouver, ainsi qu’au port de Montréal, soit les deux plus grands ports du Canada.

M. MacKinnon a dit s’attendre à ce que le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) ordonne le retour au travail d’ici «quelques jours».

Selon le ministre, la décision ne risque pas de miner le droit des parties d’exercer des moyens de pression allant jusqu’à une grève ou un lock-out.

«C’est un geste responsable, a-t-il dit. Ça envoie les parties devant un arbitre où ils peuvent plaider leur cause. Et l’économie canadienne peut reprendre son rythme.»

L’Association des employeurs maritimes (AEM) a mis dimanche soir les 1200 débardeurs du port de Montréal en lock-out. Les travailleurs venaient de rejeter l’offre «finale» qui leur avait été présentée.

Le scénario est semblable en Colombie-Britannique, où le lock-out a commencé la semaine dernière après que la partie patronale a reproché aux contremaîtres de navires et de quais d’avoir commencé une grève en réponse à une offre finale des employeurs.

Le lock-out a également lieu au port de Québec, et ce depuis deux ans, mais les activités se poursuivent, étant donné que l’employeur a recours à des travailleurs de remplacement.

Le patronat soulagé, les travailleurs indignés

Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui représente les débardeurs de Montréal et de Québec, a plutôt dénoncé cette décision qui devrait rendre «très inquiets» les travailleurs canadiens.

«C’est un manque de respect total pour les travailleurs au Canada. (…) Actuellement, on bafoue encore une fois les droits des travailleurs qui respectent les règles et qui veulent simplement négocier des conditions de travail décentes en 2024», a soutenu le président du SCFP-Québec, Patrick Gloutney, en entrevue avec La Presse Canadienne.

Selon lui, plutôt que de «bâillonner notre droit à la libre négociation qui est prévu dans la charte des droits et libertés», le gouvernement aurait dû mettre la pression sur «les entreprises milliardaires» en leur annonçant qu’il n’interviendra pas dans le conflit.

Le syndicat représentant les travailleurs des ports de la Colombie-Britannique a pour sa part fait savoir, en fin d’après-midi, qu’il entend contester devant le tribunal la décision du gouvernement fédéral.

Selon le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, la mesure annoncée par Ottawa démontre que le premier ministre Justin Trudeau «cédera toujours à la cupidité des grandes entreprises et interviendra toujours pour réduire le pouvoir des syndicats et des travailleurs». Il a également noté que le chef conservateur Pierre Poilievre «se cache lorsque les travailleurs se battent».

Tour à tour, les organisations patronales et à vocation commerciale ont, à l’inverse et sans surprise, salué la décision du ministre.

Le Conseil du patronat du Québec a évoqué son «soulagement» face à un conflit qui avait le potentiel de «paralyser» l’économie. «Chaque jour de grève ou de ralentissement dans ce secteur est un coup dur pour notre économie et pour les travailleurs des autres secteurs qui en dépendent», a écrit dans un courriel sa porte-parole, Victoria Drolet.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) s’est également dite «soulagée» et appelle Ottawa à désigner les ports comme un service essentiel pour assurer qu’ils restent pleinement opérationnels en tout temps.

La Chambre de commerce de l’Est de Montréal a parlé d’une décision «nécessaire». Son président-directeur général, Jean-Denis Charest, juge aussi qu’Ottawa doit «revoir les règles» qui régissent les relations de travail «afin de prévenir que de telles situations de blocage ne se reproduisent de manière cyclique».

L’AEM, elle, a simplement indiqué qu’elle attendra les instructions du CCRI et qu’elle prendra les mesures nécessaires pour assurer la reprise des activités le plus rapidement possible au port de Montréal.

L’Administration portuaire de Montréal a pour sa part annoncé qu’elle se prépare à la reprise des opérations dans les terminaux, et que cela devrait se faire «graduellement». Elle estime que «plusieurs semaines» seront nécessaires pour résorber les retards et restaurer la fluidité de la chaîne d’approvisionnement.

Le port appelle aussi à une «réflexion collective» afin d’en arriver à «une paix industrielle durable» qui permet d’avoir une chaîne d’approvisionnement fiable et un environnement de travail attractif pour les employés.

Le précédent des chemins de fer

Il s’agit du troisième conflit de travail touchant les chaînes d’approvisionnement au pays cette année, après ceux touchant le transport ferroviaire et aérien.

En août dernier, les deux principaux chemins de fer du pays, le CN et le CPKC, ont mis en lock-out 9300 chefs de train et conducteurs de locomotive, membres des Teamsters, après des mois de négociations qui n’ont pas abouti à de nouvelles conventions collectives.

Le ministre MacKinnon est alors intervenu et a ordonné au CCRI d’imposer un arbitrage exécutoire dans le but d’éviter une rupture totale de la chaîne d’approvisionnement au pays.

L’organisme quasi judiciaire avait immédiatement noté qu’Ottawa créait ainsi un précédent, mais que cette instruction équivalait à une ordonnance que le ministre donnait en utilisant ses «pouvoirs discrétionnaires» en vertu du Code canadien du travail. Le Conseil jugeait n’avoir aucune marge de manœuvre pour refuser la directive dans ce cas.

Les membres des syndicats et les défenseurs des travailleurs ont critiqué cette décision, affirmant qu’elle portait atteinte au pouvoir de négociation et aux droits de négociation des travailleurs.

Ottawa, dindon de la farce?

Le ministre a été questionné mardi à savoir s’il est ultimement responsable de la multiplication de ce style de conflits de travail de par sa décision de l’été dans le secteur ferroviaire et si les employeurs se servent de lui en s’attendant désormais à ce qu’il intervienne dès l’achoppement des pourparlers.

M. MacKinnon a répondu que les relations de travail dans les installations portuaires ont toujours été difficiles, si bien qu’il juge «évident» que le processus de négociation dans certaines installations portuaires devrait être réévalué.

Selon lui, Ottawa n’est pas devenu le dindon de la farce puisque «les parties négocient».

«Dans le cas de la Colombie-Britannique, on parle de 17 jours en médiation et conciliation. À Québec 75. Et à Montréal 34. Il y a des offres de part et d’autre qui sont rejetées, bien évidemment. Mais négociation il y a. Entente il n’y a pas», a-t-il déclaré.

Plus tard en journée, le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a également défendu le choix de son collègue.

«C’est nécessaire. C’est une décision qui va dans l’intérêt national, a-t-il dit. Quand vous avez trois des ports les plus importants au pays en même temps qui sont dans une situation d’arrêt de travail, c’est la responsabilité ultime du gouvernement d’agir.»

L’article 107 du Code canadien du travail confère au ministre du Travail des pouvoirs supplémentaires pour prendre des mesures qu’il «estime de nature à favoriser la bonne entente dans le monde du travail et à susciter des conditions favorables au règlement des désaccords ou différends qui y surgissent», et pourrait ordonner au Conseil canadien des relations industrielles «de prendre les mesures qu’il juge nécessaires».

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