Le Kremlin a prévenu lundi que la décision du président américain Joe Biden de permettre à l’Ukraine de frapper des cibles en Russie avec des missiles à longue portée fournis par les États-Unis ajoutait de «l’huile sur le feu» de cette guerre et aggraverait encore les tensions internationales.
Le changement de politique de M. Biden a ajouté un nouveau facteur d’incertitude à ce conflit à la veille du cap des 1000 jours.
L’annonce est aussi survenue alors qu’un missile balistique russe à bombes à fragmentation a frappé un secteur résidentiel de Soumy, dans le nord de l’Ukraine, tuant 11 personnes, dont deux enfants, et en blessant 84 autres.
Un autre barrage de missiles a déclenché des incendies d’appartements dans le port d’Odessa, dans le sud du pays, tuant au moins 10 personnes et en blessant 43, dont un enfant, a déclaré le ministère ukrainien de l’Intérieur.
Washington a assoupli les limites imposées aux frappes ukrainiennes avec des armes fabriquées aux États-Unis, ont annoncé dimanche des responsables américains à l’Associated Press, après avoir écarté pendant des mois une telle mesure par crainte d’une escalade du conflit et d’une confrontation directe entre la Russie et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Le Kremlin a été prompt à condamner cette annonce.
«Il est évident que l’administration sortante à Washington a l’intention de prendre des mesures, et elle en a parlé, pour continuer à jeter de l’huile sur le feu et à provoquer une nouvelle escalade des tensions autour de ce conflit», a déclaré le porte-parole Dmitri Peskov aux journalistes.
La portée des nouvelles directives n’est pas claire. Mais le changement est intervenu après que les États-Unis, la Corée du Sud et l’OTAN ont récemment déclaré que des troupes nord-coréennes étaient en Russie et apparemment déployées pour aider l’armée russe à chasser les troupes ukrainiennes de la région frontalière de Koursk, en sol russe.
La décision du président Biden a été presque entièrement déclenchée par l’entrée de la Corée du Nord dans le conflit, selon un responsable américain qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat pour discuter des délibérations internes. Cette décision aurait ainsi été prise juste avant le départ du président américain pour le Pérou, afin de participer au sommet annuel de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) à la fin de la semaine dernière.
Les conséquences de la nouvelle politique sur le champ de bataille sont incertaines. Les missiles «ATACMS» fabriqués aux États-Unis, qui ont une portée d’environ 300 kilomètres, peuvent atteindre des cibles bien au-delà de la ligne de front ukrainienne, longue d’environ 1000 kilomètres, mais leur portée est relativement courte par rapport à d’autres types de missiles balistiques et de croisière.
La Russie repousse lentement l’armée ukrainienne, en infériorité numérique, dans la région de Donetsk. Elle a également mené une campagne aérienne dévastatrice et meurtrière contre des zones civiles en Ukraine.
La Russie réitère ses menaces
Le porte-parole Peskov a renvoyé lundi les journalistes à une déclaration faite par le président Vladimir Poutine en septembre dernier, dans laquelle il déclarait que de permettre à l’Ukraine de cibler la Russie augmenterait considérablement les enjeux du conflit.
Cela changerait «radicalement la nature même du conflit», avait déclaré M. Poutine à l’époque. «Cela signifie que les pays de l’OTAN – les États-Unis et les pays européens – sont en guerre avec la Russie.»
M. Peskov a affirmé que les pays occidentaux qui fournissent des armes à longue portée offrent également des services de ciblage à Kyiv. «Cela change fondamentalement la modalité de leur implication dans le conflit», a-t-il soutenu.
En juin dernier, Vladimir Poutine a averti que la Russie pourrait fournir des armes à longue portée à d’autres pour frapper des cibles occidentales en réponse aux alliés de l’OTAN qui permettraient à l’Ukraine d’utiliser leurs armes pour attaquer le territoire russe. Il a également réaffirmé la volonté de Moscou d’utiliser des armes nucléaires s’il voit une menace pour sa souveraineté.
La décision de M. Biden «signifiera l’implication directe des États-Unis et de ses satellites dans une action militaire contre la Russie, ainsi qu’un changement radical dans l’essence et la nature du conflit», a déclaré le ministère russe des Affaires étrangères.
Le président désigné, Donald Trump, qui entrera en fonction dans environ deux mois, a fait planer l’incertitude quant à la poursuite du soutien militaire vital des États-Unis à l’Ukraine. Il s’est également engagé à mettre rapidement fin à cette guerre.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a réagi de façon modérée à l’approbation que lui et son gouvernement demandent à M. Biden depuis plus d’un an.
«Aujourd’hui, on parle beaucoup dans les médias du fait que nous avons reçu l’autorisation d’effectuer les actions appropriées», a déclaré le président Zelensky dans une vidéo transmise dimanche. «Mais les frappes ne se font pas avec des mots. De telles choses ne sont pas annoncées. Les missiles parleront d’eux-mêmes.»
«Plus loin l’Ukraine pourra frapper, plus la guerre sera courte», a déclaré lundi le ministre ukrainien des Affaires étrangères Andrii Sybiha avant une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU marquant le cap des 1000 jours.
Interrogé sur la possibilité pour le Royaume-Uni de suivre l’exemple des États-Unis en autorisant l’utilisation de ses missiles à longue portée, le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, qui présidait la réunion, a refusé de commenter. Il a indiqué que cela mettrait en péril «la sécurité opérationnelle et ne pourrait que faire le jeu de Poutine».
Des alliés de l’OTAN satisfaits
Certains alliés de l’OTAN ont salué cette décision.
Le président polonais, Andrzej Duda, pays limitrophe de l’Ukraine, a salué cette décision comme «très nécessaire» et l’a qualifiée de «moment très important, peut-être même de percée» dans la guerre.
«Ces derniers jours, nous avons vu l’intensification décisive des attaques russes contre l’Ukraine, surtout ces attaques de missiles qui visent des biens civils, tuent des gens, des Ukrainiens ordinaires», a déclaré le président Duda.
Le ministre des Affaires étrangères de la Lituanie, membre de l’OTAN, Gabrielius Landsbergis, a déclaré qu’il «n’ouvrait pas encore le champagne», car on ne sait pas exactement quelles restrictions ont été levées et si l’Ukraine possède suffisamment d’armes américaines pour changer les choses.
Margus Tsahkna, ministre des Affaires étrangères de l’Estonie, un autre pays balte, qui craint une menace militaire de la Russie, a affirmé que l’assouplissement des restrictions sur l’Ukraine était «une bonne chose».
Par contre, le premier ministre slovaque, Robert Fico, connu pour ses opinions pro-russes, a décrit la décision de M. Biden comme une «escalade sans précédent» qui prolongerait la guerre.