QUÉBEC — Alors que la controverse se poursuit au sujet des propos du député solidaire Haroun Bouazzi concernant du racisme allégué à l’Assemblée nationale, le principal intéressé a finalement fait acte de contrition mardi. Des excuses jugées insuffisantes par la vaste majorité des élus du Parlement.
«Je réaffirme mon engagement à travailler aux côtés de mes collègues du caucus solidaire, au service de notre mouvement et des causes qu’il défend pour améliorer la vie des gens. En ce sens, je me joins à elles et eux pour dire que je ne considère pas que l’Assemblée nationale et ses membres sont racistes et qu’il ne s’agit pas de la position du parti», a-t-il écrit sur le réseau social X.
Le député solidaire poursuit son message en affirmant qu’il tient à «assurer particulièrement mes collègues parlementaires Lionel Carmant et Christian Dubé de mon estime».
«Les exemples qui les concernent et dont j’ai parlé lors de mon entrevue à « Tout un matin » étaient certainement maladroits. Je m’excuse de cette maladresse qui a éclipsé le fond de mon propos et de ma pensée qui, comme mon historique d’engagement antiraciste en atteste, n’a jamais consisté à cibler des personnes», a-t-il ajouté.
M. Bouazzi a écrit ce message après un caucus d’urgence avec ses collègues solidaires qui s’est tenu mardi matin à l’Assemblée nationale. À la sortie de cette rencontre, aucun député solidaire n’a fait de commentaire malgré les questions des journalistes. Les visages étaient cependant longs et les mines basses.
«Maladroites, exagérées et polarisantes»
Haroun Bouazzi est au centre d’une controverse en raison des propos qu’il a tenus au gala de la Fondation Club Avenir: «Dieu sait que je vois ça à l’Assemblée nationale tous les jours, la construction de cet Autre, de cet Autre qui est maghrébin, qui est musulman, qui est Noir, qui est Autochtone, et de sa culture qui, par définition, serait dangereuse ou inférieure», avait-il alors déclaré.
Il a été rappelé à l’ordre par les deux porte-parole du parti, Gabriel Nadeau-Dubois et Ruba Ghazal, qui ont affirmé que ses déclarations étaient «maladroites, exagérées et polarisantes». Malgré tout, M. Bouazzi avait persisté et signé lors d’une entrevue à la radio de Radio-Canada vendredi matin, en ciblant entre autres les ministres Christian Dubé et Lionel Carmant ainsi que le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon.
Mardi matin, avant la réunion du caucus, la députée solidaire Christine Labrie s’est fait demander si M. Bouazzi devait rester au caucus. «Haroun va prendre ses propres décisions, a-t-elle répondu. Ce que je peux vous dire, c’est que ses propos me rendent extrêmement mal à l’aise, je ne les partage pas. (…) La notion que les membres de l’Assemblée nationale sont racistes, on n’y adhère pas à Québec solidaire.»
Front commun des autres partis
Il n’empêche que les trois autres partis politiques n’ont pas été convaincus par les excuses de M. Bouazzi, qu’ils ont jugées insuffisantes. Ils ont fait front commun mardi en déposant chacun une motion pour dénoncer les propos de l’élu solidaire.
«On dirait qu’il tourne autour du pot, M. Bouazzi, a déclaré le premier ministre François Legault. Les élus à l’Assemblée nationale ne sont pas racistes. On a 600 000 immigrants temporaires. La capacité d’accueil du Québec est largement dépassée. Donc, on a le droit de dire qu’actuellement, il y a trop d’immigrants, sans que le député de QS nous traite de racistes.»
QS a refusé de donner son consentement pour débattre de la motion du gouvernement Legault, qui réclamait que M. Bouazzi retire ses propos et s’excuse auprès de tous les membres de l’Assemblée nationale «qui ont été visés par ses accusations de racisme».
Mais les solidaires — avec M. Bouazzi — ont voté en faveur de la motion du Parti libéral, qui demandait que le Parlement «se dissocie de toute déclaration suggérant que cette Assemblée et ses membres sont racistes» et celle du Parti québécois, qui affirmait qu’aucun des membres de l’Assemblée nationale «n’est motivé par le racisme et la construction négative ou inférieure de “l’Autre”».
QS a en outre présenté, et fait adopter, sa propre motion, condamnant «les menaces et messages haineux envers le député de Maurice-Richard» et affirmant «qu’aucun parlementaire ne mérite d’être ciblé par la haine et la violence».
M. Bouazzi a assisté à l’entièreté des débats, sans broncher, alors que six élus de toutes les formations politiques se sont levés en Chambre pour commenter son comportement, parfois avec des termes très durs.
«Le député de Maurice-Richard devrait avoir la force morale d’offrir ses excuses sincères et entières à l’ensemble des parlementaires blessés par ses propos. Les regrets exprimés par le député de Maurice-Richard nous apparaissent comme incomplets», a notamment déclaré la députée libérale Jennifer Maccarone.
«Nous l’invitons à cesser toute tergiversation et à reconnaître le caractère inacceptable de son intervention, avoir le courage de dire qu’il est allé trop loin», a-t-elle ajouté. Le péquiste Pascal Bérubé a renchéri, assénant: «Je demande au député de Maurice-Richard de placer l’institution avant sa personne.»
«L’unité du caucus est forte»
À la sortie de la période de questions, le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard a rappelé que Haroun Bouazzi a présenté ses excuses, mais a reconnu du même souffle que plusieurs considèrent qu’elles ne sont pas satisfaisantes. «Je vais respecter les sentiments des gens. Si M. Bouazzi juge qu’il y a des choses à ajouter, je vais le laisser les ajouter.»
Dimanche dernier, les délégués de QS qui étaient réunis en congrès se sont montrés divisés: pas moins de 11 associations de circonscription, avec le Réseau militant intersyndical et la Commission nationale des femmes, ont appuyé publiquement les propos de M. Bouazzi.
Les délégués ont finalement adopté une résolution d’urgence mi-figue mi-raisin pour tenter de mettre fin à la controverse. Ils ont dénoncé «l’instrumentalisation injustifiée dont sont régulièrement victimes les personnes immigrantes», tout en maintenant n’avoir jamais soutenu que «l’Assemblée nationale et ses membres sont racistes».
À l’issue de ce vote, le co-porte-parole de QS, Gabriel Nadeau-Dubois, avait dit estimer que le dossier était clos. Après les excuses de mardi, il a affirmé que «sur le fond, l’unité du caucus est forte».