L’usage du français recule dans les commerces, mais les jeunes y sont indifférents

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
L’usage du français recule dans les commerces, mais les jeunes y sont indifférents

MONTRÉAL — L’accueil et le service en français dans les commerces du Québec connaissent un certain recul à travers la province, mais plus particulièrement dans les régions de Montréal et de Gatineau, une situation qui laisse de plus en plus de Québécois indifférents, surtout parmi les jeunes.

L’Office québécois de la langue française (OQLF) a publié mardi une étude intitulée «Langue d’accueil et langue de service dans les commerces du Québec en 2023: consommatrices et consommateurs», dont les auteurs ne cachent pas leur inquiétude. «Plusieurs questions sur les comportements et les perceptions de la clientèle se posent. L’accueil et le service dans une autre langue que le français seraient-ils désormais normalisés, d’où la présence d’un sentiment d’indifférence chez une partie des clientes et clients et la diminution de leurs sentiments négatifs quand ils ne sont pas accueillis ou servis en français? Cette expérience, autrefois moins fréquente et perçue plus négativement, tendrait-elle à devenir plus banale?»

Portraits régionaux

Cette quatrième enquête de l’OQLF – les autres ayant eu lieu en 2010, 2012 et 2018 – comprend pour la première fois des données régionales, avec des jeux de données spécifiques aux régions de Montréal, de Québec, de Gatineau, de Sherbrooke, les répondants d’ailleurs étant regroupés dans la catégorie «autres territoires».

Les constats de l’enquête ne sont pas que sombres. Elle démontre par exemple que l’accueil et le service en français demeurent largement majoritaires sur le territoire québécois, autour de 70 %. Cependant, près de quatre répondants sur cinq (78 %) ont dit préférer le français comme langue de service dans les commerces, 14 % n’ayant pas de préférence et 8 % penchant plutôt vers l’anglais. Fait à noter, une majorité des allophones de l’ensemble du Québec (52 %) préfère être servie en français alors que 30 % n’ont pas de préférence.

Service: Sherbrooke et Gatineau aux antipodes

Près du tiers (31 %) de la clientèle a toutefois reçu un service dans une autre langue que le français dans un commerce au cours des six mois précédant le sondage. Cette proportion chute toutefois à seulement 11 % dans la région de Sherbrooke, qui affiche le meilleur taux de réponse en français, alors que c’est dans celle de Gatineau qu’elle est la plus élevée (44 %).

Malgré tout, environ la moitié des répondants acceptent de poursuivre l’échange dans une autre langue quand le service n’est pas d’abord offert en français. L’étude nous apprend par ailleurs que deux clients sur cinq «éprouvent des sentiments négatifs» lorsqu’ils n’ont pas obtenu le service en français, mais qu’un sur trois est indifférent et 12 % sont surpris, sans plus.

Ce sont les clients des régions de Québec (47 %) et des «autres territoires» (48 %) qui sont les plus nombreux à éprouver ces sentiments négatifs.

Indifférence chez les jeunes

Par groupes d’âge, les 18-34 ans sont les moins nombreux (31 %) à éprouver des sentiments négatifs et ils sont aussi les plus nombreux (41 %) et de loin à être totalement indifférents face à un service dans une autre langue que le français. À titre comparatif, l’indifférence est signalée chez seulement 30 % des 35 ans et plus.

Quoi qu’il en soit, indifférence ou sentiment négatif, près de la moitié de la clientèle (46 %) retournerait dans un commerce l’ayant servie dans une autre langue que le français parce que cela ne la dérange pas, alors que seulement 12 % n’y retourneraient pas. À Montréal, c’est plus de la moitié (52 %) de la clientèle qui retournerait dans un commerce l’ayant servie dans une autre langue que le français parce que cela ne la dérange pas, et environ le quart (27 %) y retournerait, mais seulement par nécessité.

Accueil: mêmes constats

Avant le service il y a, bien sûr, l’accueil et là aussi, c’est une proportion de 30 % de la clientèle qui a été accueillie dans un commerce dans une autre langue que le français. Cette proportion grimpe à 40 % dans la région de Montréal, mais il s’agit néanmoins d’une première baisse depuis 2010. Cette proportion était passée de 27 % en 2010 à 45,6 % en 2018, avant de redescendre à 40 % en 2023.

Tout comme en matière de service à la clientèle, le même phénomène d’indifférence plus marquée et de sentiments négatifs moins importants se constate chez les 18-24 comparativement aux 35 ans et plus quand l’accueil se fait dans une autre langue que le français.

«Les résultats de cette étude, écrivent les auteurs, montrent qu’en 2023, dans l’ensemble du Québec, l’absence de réaction chez la clientèle accueillie et servie dans une autre langue que le français tend à augmenter. (…) De plus, parmi l’ensemble de la clientèle, dont la clientèle francophone, plusieurs demandent rarement ou ne demandent jamais le service en français lorsqu’il n’est pas d’abord offert dans cette langue.»

Appel à la population

Dans un courriel à La Presse Canadienne, le ministre responsable de la Langue française, Jean-François Roberge, a affirmé «qu’il faut être pro-actif dans le dossier de la langue française» et appelle les Québécois «à exiger d’être servis en français dans les commerces du Québec, et à porter plainte à l’OQLF lorsque ce n’est pas le cas».

L’enquête a été menée par téléphone et en ligne auprès de 3822 répondants entre le 7 novembre et le 15 décembre 2023. Elle présente une marge d’erreur de plus ou moins 1,6 % avec un intervalle de confiance de 95 %.

Le territoire désigné par les auteurs comme étant la Région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal est toutefois beaucoup plus petit que celui que Statistique Canada désigne comme étant la RMR de Montréal. Par ailleurs, l’échantillonnage comprend une proportion de francophones (65 %) beaucoup plus faible que celle que l’on retrouve dans la population (77,5 %) et des proportions d’anglophones (15 %) et d’allophones (20 %) plus grandes que celles de la population (respectivement 10,4 % et 7,9 %), mais les notes méthodologiques précisent que «cette façon de procéder permet d’assurer une bonne représentativité des résultats liés aux personnes dont la langue maternelle est l’anglais ou une autre langue que le français ou l’anglais».

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