OTTAWA — Le premier ministre Justin Trudeau signale que son gouvernement rejettera tout amendement que le Sénat proposerait au projet de loi bloquiste C-282 ayant pour effet de diminuer la portée de la protection de la gestion de l’offre dans des négociations commerciales.
«Nous allons toujours protéger la gestion de l’offre, quelle que soit l’opinion des augustes sénateurs», a-t-il lancé mercredi lors de la période des questions, précisant que son qualificatif des sénateurs était ironique.
Le Sénat débat depuis mardi de la pertinence d’un amendement proposé par un comité de la Chambre haute. Ce changement équivaudrait, selon les défenseurs de C-282, à le vider de sa substance.
Le gouvernement avait déjà encouragé, avant mercredi, les sénateurs à adopter le projet de loi dans sa forme originale, c’est-à-dire sans l’amendement critiqué. Mercredi, M. Trudeau est allé plus loin en prévenant les sénateurs que le gouvernement allait rejeter une mouture du projet de loi qui serait du type de ce qui fait l’objet de discussions parmi les sénateurs.
«Nous n’allons accepter aucun projet de loi qui minimise ou qui enlève l’obligation de cette Chambre de protéger la gestion de l’offre dans tout accord commercial à venir», a-t-il dit.
Le bureau du premier ministre a précisé à La Presse Canadienne que cela signifiait que, si le projet de loi était renvoyé à la Chambre des communes en incluant l’amendement, il se buterait à une fin de non-recevoir du gouvernement.
Il y a fort à parier que la Chambre appuierait un tel refus des libéraux puisque le projet de loi, dans sa forme originale, a été entériné par une vaste majorité d’élus issus de tous les partis. Traditionnellement, lorsqu’un désaccord survient entre le Sénat et les Communes, les sénateurs finissent par se plier à la volonté des députés.
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a dit mercredi demeurer optimiste que C-282 finira par terminer son processus législatif et deviendra loi. Il a toutefois formulé des craintes que les sénateurs puissent allonger l’étude de la pièce législative au point qu’elle ne puisse être adoptée avant la prochaine élection.
M. Blanchet a rencontré mercredi la leader du gouvernement en Chambre et celui pour le Sénat, Karine Gould et Marc Gold, et ils ont tous convenu, selon le chef bloquiste, de maintenir la pression pour que C-282 soit adopté bientôt, et ce, dans sa forme initiale.
M. Blanchet rencontrait aussi des sénateurs à partir de mercredi après-midi, notamment le sénateur Peter Boehm présidant le comité qui a entériné l’amendement critiqué.
Le contexte d’une deuxième administration Trump
Le changement, qui avait été proposé par le sénateur Peter Harder, aurait pour effet d’empêcher d’exclure la gestion de l’offre de tous pourparlers commerciaux s’il est question d’un traité préexistant à l’entrée en vigueur du projet de loi C-282. Dans la même veine, la renégociation d’un accord existant déjà, comme l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), ou la poursuite d’une négociation qui avait déjà été entamée seraient exemptées.
Le sénateur Boehm a plaidé mardi que les membres de la Chambre haute ne sont pas appelés, avec C-282, à se prononcer pour ou contre le système de gestion de l’offre.
Il a fait valoir qu’ils doivent plutôt se positionner sur la façon dont le Canada mène ses négociations commerciales, puisque le projet de loi vise à modifier la loi sur le ministère des Affaires étrangères.
«Les membres du comité favorables à l’amendement estimaient que celui-ci était particulièrement important dans le contexte de l’examen de l’ACEUM prévu pour 2026 qui sera encore plus complexe sous une deuxième administration du président Trump», a-t-il dit.
La sénatrice Amina Gerba, marraine de C-282 à la Chambre haute, n’a pas manqué de rappeler son opposition à l’amendement. Selon elle et d’autres opposants à la modification, rejeter l’amendement est essentiel dans le contexte du retour au pouvoir de Donald Trump, qui doit entrer en fonction en janvier aux États-Unis.
«Les exclusions induites par celui-ci rendent le projet de loi au mieux symbolique et au pire complètement inefficace», a-t-elle lancé. À son avis, l’adoption de C-282 avec cet amendement aurait permis que la gestion de l’offre soit toujours utilisée comme «monnaie d’échange» dans des négociations d’accords commerciaux.
Elle a soutenu que d’autres pays tracent aussi des «lignes rouges» quand vient le temps de négocier, donnant en exemple le secteur du coton aux États-Unis.
En contrepartie, la sénatrice Mary Coyle a défendu l’amendement, le qualifiant de «crucial». «L’amendement protège la résilience économique de longue date du Canada dans un monde qui change rapidement. Cela nous permet de préserver nos forces alors que le monde et nous effectuons la transition vers un futur carboneutre», a-t-elle affirmé.
Le projet de loi, qui a été envoyé de la Chambre au Sénat en juin 2023, a retenu l’attention, cet automne, puisqu’il a été au cœur d’un ultimatum qu’avait lancé le Bloc québécois aux libéraux de Justin Trudeau.
En échange de l’adoption de C-282 et d’un autre projet de loi bloquiste d’ici au 29 octobre, le parti souverainiste promettait d’aider le gouvernement libéral minoritaire à survivre d’ici Noël.
Le système de la gestion de l’offre vise à stabiliser le prix au niveau des produits laitiers et de la volaille notamment. «(Il) consiste à coordonner la production et la demande tout en contrôlant les importations afin d’établir un prix stable, autant pour les agriculteurs que pour les consommateurs», résume la Bibliothèque du Parlement sur son site web.