En arrivant au chalet de Duhamel, l’ancien chalet du Club sportif, le chalet Les Pionniers, comme l’avaient baptisé les gars de la Singer, l’émotion et la joie emplissent le cœur de Pauline qui, avec sa famille, chérit ce chalet en mémoire de son père, Marcel Cloutier, qui a travaillé à la Singer de 1941 jusqu’à la fermeture en 1983. D’ailleurs, la mère de Pauline et son nouveau mari, Alain et Monique, frère et sœur de Pauline, sont venus passer quelques jours avec nous.
C’était le chalet des chasseurs et pêcheurs employés de la Singer. Les grands patrons, les propriétaires, avaient aussi leur chalet, leur auberge, leur «lodge» dominant la grande plage du lac Simon, à deux kilomètres du village de Duhamel. Ce lieu privilégié était réservé aux cadres, aux propriétaires actionnaires, aux clients et amis de la compagnie. Ces chanceux venaient, toutes dépenses payées, sur invitation seulement, y passer un séjour.
Chasse, pêche, golf et plage étaient à leur disposition avec tous les services requis : chef cuisinier, femmes de ménage, guides de chasse et pêche, caddies et quoi d’autre? La grande salle d’accueil et la salle à manger avec un mur foyer entier et un autre avec ses nombreuses fenêtres donnaient une vue imprenable sur le lac Simon, juste au-dessus de la plage.
On lit dans Si Duhamel m’était conté, livre du centenaire, (1989) que Blanche, une jeune fille du village, serait décédée à la suite d’une soirée dansante organisée pour les patrons américains. Elle serait «partie de l’hôtel en nage par cette froide nuit d’hiver et aurait été victime d’un refroidissement fatal en regagnant sa maison».
Vérité ou légende?
Pour en découvrir un peu plus sur l’histoire de la Singer dans la vallée de la rivière Petite Nation, nous nous rendons à la bibliothèque où madame Roselyne Bernard s’empresse de nous suggérer des titres et des sites Web à consulter. Les dames présentes conversent volontiers avec nous et ouvrent leurs boîtes de souvenirs avec empressement. Madame Simone Desgagnés, qui vit à Duhamel depuis 1941, ne peut confirmer l’histoire de Blanche. Elle nous parle de la Thurso and Nation Valley Railway qui appartenait à la Singer.
Elle nous dit fièrement que son père, «ingénieur» bien que n’ayant pas d’études, conduisait la locomotive à vapeur pour la Compagnie. Un site Web documenté par M. Colin J. Churcher relate l’histoire de ce chemin de fer. La région porte le nom des Amérindiens qui la peuplaient auparavant, la tribu algonquine Oueskarini qui signifie «Peuple de la Petite Nation».
Chemin de fer
La Singer avait acheté, en 1923, une concession forestière de 500 milles carrés (1 295 km2) pour la somme de 500 000$, soit 1000$ le mille carré (386$ le km2). Les limites de cette concession débutaient un peu au nord de Thurso et allaient jusqu’au sud de Mont-Laurier. Lors de l’achat de la concession, les bois mous avaient déjà été en grande partie récoltés par la W.C. Edwards d’Ottawa, mais la forêt regorgeait de bois durs, érables, bouleaux jaunes (merisiers) et hêtres pour la fabrication des meubles de machines à coudre.
Comme le bois dur ne flotte pas et qu’il n’y avait à cette époque ni route ni système de transport par camions, la Singer construisit, entre 1925 et 1946, un chemin de fer de 90 kilomètres de long à partir de Thurso jusqu’au lac Fascinant dans la Réserve faunique Papineau-Labelle pour transporter le bois vers ses usines de Thurso: un moulin à scie (1925), une fabrique de contreplaqué (1941) et une usine de pulpe et papier (1956). Au début, le bois était livré à Saint-Jean pour la fabrication des meubles de machines à coudre. Les gens de Saint-Jean se souviendront que la fabrication, l’assemblage et la finition des meubles de machines à coudre ont été transférés de Saint-Jean à Thurso en 1959. Les usines, les locomotives, les wagons, les rails, tout appartenait à la Singer, jusqu’au moment de la vente, à la compagnie James MacLaren en 1964.
Une cour de triage de 1,3 km x 2 km au bout du chemin de fer servait à l’entreposage du bois avant qu’il soit acheminé, à partir du mois de juin, vers Thurso. Les piles s’élevaient jusqu’à 8 mètres de haut.
À cette époque pas si lointaine, pouvait-on dire «Duhamel, la vraie vie»? Peut-être. La rumeur dit aussi qu’une autre construction aux «1100 vitres» à la Pointe à Baptiste recevait des actrices d’Hollywood. Cette habitation un peu particulière était qualifiée par certains de «bordel de Duhamel». Elle aurait été détruite par un incendie vers 1940. M. Guy Poliquin, maître de poste, fils du gérant des installations de la Singer pendant plusieurs années, se souvient même que son père avait été chargé de faire un inventaire complet du contenu de cette maison. Y avait-il, en fait, deux grands chalets à Duhamel pour des privilégiés de la Singer?
Patinoire
Sur cette question un peu troublante, nous décidons de sortir prendre l’air pour nous faire une patinoire sur le lac devant le chalet. Alain dirige les opérations : il faut enlever la neige pour dégager une grande surface puis, faire un trou dans la glace pour y puiser l’eau et arroser. Après quelques heures d’efforts, les muscles bien chauds, on commence à arroser. À trois, avec chacun un seau, ça prend environ une autre demi-heure et c’est fini. La vraie vie, quoi!
Fiche technique
La Singer dans la Petite Nation. 1923 : achat de 500 milles carrés de limite de bois pour 500 000$. 1925 : construction du moulin à scie à Thurso. 1925 à 1946 : construction d’un chemin de fer de 90 km entre Thurso et le lac Fascinant. 1964 : vente de toutes les opérations à la compagnie James MacLaren.
Bonjour, où était situé le parcours de golf en question?
c’était au nord de la grande plage et au sud du nouveau chemin.
Merci!