Ce matin, nous abandonnons notre projet de patinoire sur le lac devant le chalet. Rien à faire. Durant la nuit, encore une fois l’eau a monté sur la glace et il a neigé. Un beau gâchis. Le thermomètre marque -15°C et la sloche ne durcit pas. Adieu rêve de citadin, nous irons patiner au village sur la patinoire municipale.
La vie à Duhamel change dramatiquement au fil des saisons. En hiver, on y rencontre, en très petit nombre, les amoureux de la neige, du grand froid et des sports d’hiver: pêche blanche, motoneige, quad et ski de fond avec possibilité de longues randonnées et refuges pour la nuit. En été, les lacs, rivières, sentiers, pistes cyclables, pistes de quads et terrains de camping attirent beaucoup plus de visiteurs, environ 20 000, nous dit-on.
Pour M. Levert, il n’y a pas grand-chose à faire à Duhamel en hiver, à part livrer du bois de chauffage aux retardataires et prendre une petite bière l’après-midi au coin du feu dans le garage où son fils répare un vieux Jeep Cherokee. Il nous parle du passé, quand il travaillait pour la Singer.
Anecdotes
Dans les premières années, la compagnie Singer avait établi son quartier général forestier près de la voie ferrée, au 26e mille du chemin fer partant de Thurso. Le hameau portait le nom de Singer et comptait quelques bâtiments, des dortoirs pour les employés, une école, un magasin. À partir de 1940, à mesure que l’exploitation forestière progressait vers le Nord, le quartier général a été déplacé à Duhamel. Les bâtiments ont été déménagés par le train, en pièces détachées et les pupitres, tables et chaises de l’école donnés à la Commission scolaire de Duhamel.
La Singer avait donc à Duhamel un entrepôt, genre magasin général, où elle vendait aux «colons» nous dit M. Levert. «Bien oui, nous étions des colons, descendants de colons de la période de colonisation du curé Labelle. Ces terres défrichées n’étaient pas assez grandes et productives pour nous approvisionner durant tout l’hiver. C’est le magasin Singer qui nous vendait ce qui nous manquait au printemps.»
Les hommes travaillaient l’hiver comme bûcherons. «Nous étions payés à la job, six jours par semaine. Le train nous ramenait chez nous le samedi soir et on retournait au camp le dimanche.» À partir des années 50, à la fin de la saison, ils étaient «sur l’assurance-chômage» jusqu’à la reprise du travail au début de l’hiver. «Moi, nous dit M. Levert, je travaillais pour la Singer sur le bulldozer. À chaque printemps, il y avait de gros travaux de réparation à faire sur la voie ferrée. C’était moi qui faisais le principal avec le bull.»
En 1958, le train qui montait les travailleurs était conduit par Albert, le père de madame Desgagnés que nous avons rencontrée à la bibliothèque. Ce dernier n’avait pas d’instruction, mais il était quand même «ingénieur» sur les locomotives à vapeur. Un jour, sa locomotive est tombée soudainement dans un trou de plusieurs mètres de profondeur. La voie ferrée avait été emportée par une grosse crue d’eau provoquée par l’effondrement d’un barrage de castors. Miraculeusement, aucun travailleur ne fut tué et son père, tout en bas dans le trou sous une pile de wagons s’en est sorti avec une légère égratignure au front.
Cet accident et les frais encourus pour la réparation de la voie ferrée ont poussé la compagnie à s’orienter vers le transport par camions sur des chemins forestiers. C’est comme ça que, peu à peu, le chemin de fer a été délaissé et fermé définitivement en 1986. L’ancien tracé est maintenant devenu un corridor pour vélos, quads ou motoneiges.
Ski de fond sur le lac
C’est bien beau parler et parler, mais il faut quand même se mettre en jambes et suivre notre résolution de sortir faire de l’exercice au moins une fois par jour. Nous tentons une autre sortie en ski de fond sur le lac gelé. Du chalet, nous partons avec des skis aux pieds, traversons un petit chemin, un terrain de camping où les roulottes, bien fermées pour l’hiver, restent muettes à notre passage. Nous arrivons au bord de la première baie. La glace, cette fois, est-elle bien prise?
Prudemment, nous nous y engageons. Tout va bien. Ça glisse à merveille. La neige épaisse est bonne, froide et rapide. Au détour d’une baie, à sa pointe, un peu d’eau apparaît à quelques mètres du bord. Prudemment, Alain, le frère de Pauline nous guide jusqu’à la prochaine baie. Monique, sa sœur, nous incite à la prudence avec un tremblement dans la voix. Après quelques élans, nous pataugeons encore dans la sloche. Cette fois, nous rebroussons chemin.
Un peu plus loin, sur une bonne couche de neige, nous nous laissons tenter par une petite traversée de l’autre côté de la baie. Tout va bien. On entend tout à coup des bruits saccadés et on redouble de prudence. Un peu anxieux, nous réussissons à nous rendre de l’autre côté pour découvrir l’origine de ces bruits inquiétants: des rondelles de hockey percutant violemment la bande d’une magnifique patinoire. La dame qui nous accueille dit que son mari, un patenteux, a installé cette belle patinoire aux dimensions réglementaires avec bandes, éclairage et musique. Il a même conçu une mini-zamboni pour faire la glace sur le lac.
Elle nous invite à revenir avec nos patins. Ces gens, qui parlent français, ont leur résidence principale dans la province voisine, juste de l’autre côté de la frontière Québec-Ontario.
Nous retournons au chalet en admirant leur travail, leur ingéniosité, leur courage et leur chance, nous qui avons travaillé d’arrache-pied et raté si lamentablement notre petite patinoire sur le lac en face du chalet des Pionniers de la Singer.