Jardiniers urbains

Par Christiane Dumont

Durant la belle saison, certains recoins de la ville prennent des allures de campagne. Question de santé, d’environnement ou d’avoir le dessus sur le budget alimentaire, tout est prétexte à manier la truelle. Tour de ville d’un plaisir solitaire ou auquel on s’adonne en groupe sur de petits carrés de rien du tout ou sur de vastes parcelles.

Chez Pierrette Lapointe, rue Granger, le potager mange pratiquement tout l’arrière de la maison. Cela fait bien 65 par 30 pieds. On pourrait croire que la Johannaise a de quoi remplir son congélateur pour l’hiver, mais pas du tout. Ses nombreuses connaissances qui lui rendent visite durant l’été ne se font pas prier pour s’emparer des fruits et légumes bio, cultivés sans pesticides, qu’elle leur offre sans retenue.

Pour mettre la nature de son côté, Mme Lapointe pratique le compagnonnage. «En hiver,  je dessine le jardin pied par pied, et je mets ensemble les légumes amis. Si je place les poireaux à côté des carottes, par exemple, elles ne se feront pas piquer par la mouche de la carotte», expose-t-elle.

Grand jardin, petits légumes

Depuis 40 ans, son jardin a grandi, mais les légumes ont rapetissé. Car la jardinière privilégie les petites variétés, qui ne font pas de trop grandes portions: les tomates cerises et les aubergines japonaises, par exemple, peuvent se manger en un seul repas.

La vedette de son jardin, ce sont ses deux asiminiers, appelés aussi paw paw. Aux premières années, ces arbres fruitiers ont semblé incapables de produire leurs fleurs rouge vin en forme de tulipes renversées. Pas étonnant puisqu’ils vivent habituellement sous des cieux plus cléments. Mais Pierrette Lapointe a été patiente et, maintenant, elle peut savourer leurs gros fruits pulpeux, dont le goût emprunte à la mangue et à la banane. 

Quand la place manque

Né à la campagne, Daniel Poulin a aménagé tout son terrain, rue Laurier, dont la pièce maîtresse est un petit jardin d’eau ou s’ébattent quelques poissons. Faute d’espace, il a fait végétaliser le toit plat de la rallonge de son garage il y a deux ans. Ce qui lui a fait gagner 40 pieds carrés, de quoi faire pousser des fines herbes et des tomates. Et Daniel Poulin en est bien satisfait:

«Je peux montrer la nature à mon fils, et le sensibiliser à l’environnement. Et, en plus, il n’y a rien de chimique dans ce que nous cultivons», professe-t-il, ajoutant qu’il trouve indispensable de «transmettre les joies du potager aux générations futures».

Le Samuel

L’intérêt pour l’agriculture urbaine se traduit aussi par de petits projets d’entreprise. Sébastien Giannini, directeur et chef de cuisine Le Samuel, rue Richelieu, s’est fait un petit potager en pots sur le toit de son restaurant. Il y fait pousser du thym et de la verveine, entre autres, des fines herbes réceptives au soleil. Si bien qu’il compte sur la pluie pour étancher leur soif et ne les arrose qu’en dernier recours. Autrement, pas d’engrais, «c’est simple et bien, c’est écoresponsable», assure-t-il.

Une clientèle qui vieillit

Malgré l’intérêt nouveau manifesté par des gens épris d’écologie, malgré l’enthousiasme des passionnés de toujours, à la Pépinière Jacques-Cartier, le propriétaire, Yvon Farrell estime que la clientèle délaisse l’horticulture. Pour expliquer cette tendance, il tente quelques explications: les terrains sont de plus en plus petits, la tranche de population intéressée vieillit sans cesse, expose-t-il, et les plus jeunes n’ont pas ni le temps ni le savoir-faire pour ce type de loisirs.

Cela dit, une nouvelle clientèle semble se dessiner. Le Centre de femmes et le député Dave Turcotte ont reçu beaucoup de demandes pour des jardins communautaires à Saint-Jean-sur-Richelieu. Ils ont commencé par soutenir deux projets dans des HLM qui étaient presque prêts, sur les rues Berthier et Donais. Un succès, puisqu’on y tiendra bientôt une fête des récoltes. Au bureau du député, on promet de multiplier les expériences en ville, dès l’an prochain.

Réintroduire le potager au village

Au Centre de femmes, on est bien décidé à réintroduire l’art du potager auprès de la population, quitte à commencer en pleine campagne. C’est que dans les villages, une certaine tranche de la population peine à s’approvisionner en fruits et légumes frais, assure la coordonnatrice du Centre en sécurité alimentaire, Brigitte Laquerre.

La Sabrevoisienne explique qu’en ruralité, la plupart des champs sont achetés par des transformateurs et que la récolte est vendue d’avance à de grands détaillants. Il reste quelques kiosques sur le bord de la route, mais les gens ne comprennent tout simplement pas qu’un panier de framboises leur coûte 3$, alors qu’ils peuvent en acheter 2 pour le même prix à l’épicerie, déplore-t-elle.

Le projet de tous

Le jardin communautaire de Sabrevois, c’est l’animatrice Karen Beaudet du Centre de femmes qui le porte à bout de bras. Le projet a redémarré pour une deuxième année sur un lot de 40 par 60 pieds attenant à la salle communautaire. Les appuis sont venus de tous côtés: la municipalité a fait enlever la tourbe et rotoculter le terrain et elle a débloqué un budget pour l’équipement. Un cultivateur du coin a apporté de la terre noire et du fumier de bovins, et la députée Marie Bouillé y est allée d’une subvention. Les Serres Sainte-Anne n’étaient pas en reste, puisqu’elles ont fourni 306 plants de tomates, tandis que les Serres de Sabrevois ont offert les fines herbes à bas prix ainsi que des semences rapides pour les concombres.

Il ne restait plus qu’à semer et, au 25 juin, on attendait une vingtaine de participants. Il était un peu tard dans la saison, mais qu’importe, on s’est lancé. Carottes, fèves, choux, on n’a semé que du bio.

La récolte

Et puis, après les soins, la récolte est survenue. Par un beau soir du mois d’août, Lucie Desmarchais ne peut s’empêcher de croquer dans une tomate encore chaude de soleil. Elle cueille encore deux courgettes et de petites tomates, qui n’ont pas souffert des insectes. Cachés sous le feuillage, cinq cantaloups promettent beaucoup, à condition de rester au sol encore un bout de temps.

Lise Gauthier, elle, constate que ses tomates et ses poivrons sont petits et qu’ils se sont fait manger. Ce qui n’a pas empêché ses petits-enfants de se jeter dessus. Cette jardinière expérimentée a plein d’astuces à partager.

Au final, il est resté huit participantes, ce qui ne décourage pas le moins du monde l’animatrice. L’an prochain, elles pourront transmettre leur expérience, et Karen Beaudet regarde du côté de la résidence pour personnes âgées, du centre de la petite enfance et de l’école tout autour pour grossir les troupes. Ici, à Sabrevois, ce n’est pas la terre qui manque.

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