Au Japon, les femmes veulent briser le plafond de verre politique

Mari Yamaguchi, The Associated Press
Au Japon, les femmes veulent briser le plafond de verre politique

Il y a huit ans, Yuriko Koike est devenue la première femme à diriger Tokyo, en remportant les élections contre son prédécesseur masculin. Dimanche, elle a également obtenu un troisième mandat de gouverneure et l’une de ses plus proches rivales était une femme.

Plusieurs femmes qui concourent pour un poste politique de haut niveau est un événement rare au Japon, mauvais élève en matière de l’égalité femmes-hommes. La victoire de Mme Koike met en évidence une montée progressive du nombre de femmes fonctionnaires au pouvoir et une société plus ouverte à la parité en politique.

Cela dit, même si une femme finit par devenir première ministre, la politique reste largement dominée par les hommes, et les experts estiment qu’un énorme effort sera nécessaire pour assurer une représentation égale.

«On attend de plus en plus des femmes qu’elles jouent un rôle plus important en politique», a soulevé la parlementaire Chinami Nishimura, haute responsable du principal parti d’opposition, le Parti constitutionnel démocrate du Japon.

«En politique ou au Parlement, largement considérés comme des lieux de travail masculins, il est extrêmement important que les femmes montrent leur présence et fassent entendre leur voix.»

Mme Nishimura, qui dirige également l’équipe de promotion de l’égalité des genres du parti d’opposition, espère que les femmes représenteront 30 % des candidats de son parti aux prochaines élections nationales.

Le Parti libéral-démocrate conservateur du premier ministre Fumio Kishida s’est engagé l’année dernière à atteindre 30 % de représentation féminine d’ici dix ans et s’efforce de recruter davantage de candidates.

Un chemin parsemé d’embûches

Trouver des candidates féminines n’est cependant pas facile. Au Japon, on attend encore souvent des femmes qu’elles s’occupent de l’éducation des enfants, des soins aux personnes âgées et d’autres responsabilités familiales.

Les parlementaires nationaux sont également appelés à voyager régulièrement entre Tokyo et leurs circonscriptions d’origine, ce qui rend la tâche particulièrement difficile aux femmes parlementaires qui tentent de concilier carrière et famille. Mme Nishimura affirme que d’anciennes collègues ont quitté la politique nationale et sont retournées dans les assemblées locales en raison de ces enjeux.

Chinami Nishimura a débuté sa carrière politique à l’assemblée préfectorale de sa ville natale, Niigata, en 1999, devenant ainsi la première femme à y siéger depuis des décennies. L’assemblée, composée de 53 membres, compte désormais cinq femmes.

Si le nombre de femmes souhaitant entamer une carrière politique augmente, celles-ci restent minoritaires, en particulier dans la politique nationale où les décisions électorales sont largement déterminées par des partis politiques à huis clos et dominés par les hommes, et où les femmes qui s’expriment ouvertement ont tendance à devenir une cible.

L’une des principales rivales de Mme Koike était une femme, Renhō, une ancienne parlementaire chevronnée qui porte un seul nom et qui a terminé troisième. Renhō a déclaré aux journalistes le mois dernier qu’elle voyait souvent les gros titres sur la course au poste de gouverneur de Tokyo écrivant «une bataille de femmes dragons».

«Utiliseriez-vous ce genre d’expression pour décrire une compétition entre candidats masculins?», a-t-elle demandé.

Yuriko Koike, une ancienne présentatrice de journaux télévisés élégante et à l’aise avec les médias, a été élue pour la première fois au Parlement en 1992, à l’âge de 40 ans. Elle a occupé plusieurs postes clés au sein du cabinet, notamment ceux de ministre de l’Environnement et de cheffe de la Défense pour le Parti libéral-démocrate au pouvoir de longue date, avant de devenir gouverneure de Tokyo en 2016.

Renhō, connue pour poser des questions pointues au Parlement, est née d’une mère japonaise et d’un père taïwanais. Ancienne mannequin et présentatrice de nouvelles, elle a été élue au Parlement en 2004 et a été ministre de la Réforme administrative dans le gouvernement dirigé par le Parti démocrate du Japon, qui n’existe plus maintenant.

Les attaques contre l’image agressive de Renhō sont un exemple clair de préjugés sexistes dans une société qui attend des candidates qu’elles soient «maternelles ou mignonnes», a affirmé Chiyako Sato, éditorialiste du «Mainichi Shimbun» et commentatrice politique.

En raison de la faible présence féminine en politique, les femmes puissantes ont tendance à attirer une attention excessive. Leur présence à l’élection du gouverneur de Tokyo «a transmis un message positif selon lequel les femmes peuvent devenir des leaders politiques, mais une grande partie de l’attention à leur sujet reflétait également la triste réalité du Japon», a déploré Mari Miura, professeure à l’Université de Sophia et experte en genre et en politique.

Par exemple, une enquête auprès des législateurs nationaux et locaux menée en 2022 par un groupe civil a montré qu’un tiers d’environ 100 femmes interrogées ont été victimes de harcèlement sexuel pendant les campagnes électorales ou au travail.

Plus tôt cette année, Taro Aso, un ancien premier ministre souvent critiqué pour ses bévues, a été contraint de s’excuser après avoir décrit la ministre des Affaires étrangères Yoko Kamikawa, une femme, comme douée, mais pas belle.

Des progrès qui prennent du temps

Les femmes représentent environ 30 % de l’assemblée de Tokyo et leur présence dans les assemblées municipales des zones urbaines est également en croissance. En moyenne, la représentation des femmes dans plus de 1740 assemblées locales japonaises a doublé pour atteindre 14,5 % en 2021 par rapport à il y a 20 ans.

Mais dans les zones rurales, où les rôles de genre plus traditionnels sont légion, 226, soit 13 % du total, ont eu des assemblées sans femme l’année dernière, selon le Bureau pour l’égalité des sexes du bureau du Cabinet.

Au Parlement, où les libéraux-démocrates conservateurs sont au pouvoir presque sans interruption depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la représentation féminine à la chambre basse est de 10,3%, plaçant le Japon au 163e rang sur 190 pays, selon un rapport publié en avril par l’Union Interparlementaire, basée à Genève.

En 1946, le nombre n’était guère différent, soit 8,4 % au total, alors qu’un premier groupe de 39 femmes fut élu au Parlement, selon le Bureau pour l’égalité des sexes.

«Il y a eu des changements au niveau de la politique régionale, mais le rythme est trop lent», soutient Chiyako Sato, qui propose un quota obligatoire pour les femmes.

Dans les années 1990, une femme dans un cabinet d’une vingtaine de ministres était la norme. Dernièrement, la présence de deux femmes est habituelle. Maintenir un nombre accru de femmes ministres représente un défi.

Mme Koike est devenue la première candidate féminine à se présenter à la course à la direction du Parti libéral-démocrate en 2008. Deux autres, Sanae Takaichi et Seiko Noda, se sont présentées en 2021 contre Fumio Kishida.

Plus récemment, Yoko Kamikawa, la ministre des Affaires étrangères, est considérée comme ayant une chance de l’emporter, car le parti veut du changement alors qu’il est aux prises avec la baisse des taux de soutien et les scandales de corruption.

Cependant, dans le système japonais, avoir une femme première ministre ne signifie pas nécessairement un progrès en matière d’égalité des sexes en raison de l’influence politique écrasante des hommes. Mais cela pourrait être un pas en avant crucial, même s’il est symbolique, a indiqué la commentatrice politique Chiyako Sato.

«Avoir des modèles est très important (…) pour montrer l’égalité des sexes et que les femmes peuvent également viser un poste de haut niveau, a-t-elle soutenu. On ne s’attend plus à ce que les femmes en politique fassent tapisserie.»

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