PÉKIN, Chine — Une enquête de l’Associated Press a révélé que le gouvernement chinois a gelé les efforts significatifs visant à retracer les origines de la pandémie de coronavirus, bien qu’il ait déclaré publiquement qu’il soutenait une enquête scientifique ouverte.
L’AP s’est appuyée sur des milliers de pages de courriels et de documents non divulgués, des fuites d’enregistrements et des dizaines d’entretiens qui montrent que le gel a commencé bien plus tôt qu’on ne le pensait ― dès les premières semaines de l’épidémie ― et que cela était dû à des luttes intestines politiques et scientifiques en Chine autant qu’à des accusations portées au niveau international.
Des efforts initiaux cruciaux ont été entravés par des bureaucrates de Wuhan qui ont induit en erreur le gouvernement central, lequel a réduit les scientifiques chinois au silence et soumis les fonctionnaires de l’ONU en visite à des visites organisées, ainsi que par l’Organisation mondiale de la santé elle-même, qui a peut-être compromis les premières occasions de recueillir des informations essentielles, selon des documents internes obtenus par l’AP.
LE SECRET DÈS LE DÉPART
Le secret entoure le début de l’épidémie de COVID-19. Même la date à laquelle les autorités chinoises ont commencé à rechercher les origines du virus n’est pas claire. La première recherche publiquement connue du coronavirus a eu lieu le 31 décembre 2019, lorsque des scientifiques du Centre chinois de contrôle des maladies ont visité le marché de Wuhan où de nombreux cas de COVID-19 ont fait surface.
Mais les responsables de l’OMS ont entendu parler d’une inspection antérieure du marché le 25 décembre 2019, selon un enregistrement d’une réunion confidentielle de l’OMS fourni à l’AP. Dans l’enregistrement, le principal expert en virus de l’OMS, Peter Ben Embarek, déclare à ses collègues que les fonctionnaires chinois ce jour-là «examinaient ce qui était en vente sur le marché, si tous les vendeurs avaient des licences (et) s’il y avait un commerce illégal (d’animaux sauvages)».
M. Ben Embarek ajoute que l’enquête n’était «pas routinière» et que l’OMS «essaierait de comprendre ce qui s’est passé». Une telle enquête n’a jamais été mentionnée publiquement par les autorités chinoises ou l’OMS.
L’OMS a assuré dans un courriel qu’elle n’était «pas au courant» d’une quelconque enquête le 25 décembre 2019. D’autres experts ont déclaré que toute visite au marché ce jour-là serait importante, en particulier si des échantillons d’animaux étaient prélevés, car ils pourraient constituer des preuves essentielles de la manière dont la COVID-19 est passée à l’homme.
PUNIR LES SCIENTIFIQUES
Zhang Yongzhen a été le premier scientifique à publier une séquence du virus de la COVID-19. Un jour après avoir rédigé une note exhortant les autorités sanitaires à agir rapidement, le plus haut responsable chinois de la santé a ordonné la fermeture de son laboratoire.
«Ils ont utilisé leur pouvoir officiel contre moi et nos collègues», a écrit M. Zhang dans un courriel transmis à AP par Edward Holmes, un virologue australien.
Parmi les médecins et les scientifiques chinois, le sentiment que Pékin était à la recherche d’un bouc émissaire s’est renforcé. Le gouvernement a ouvert des enquêtes sur les hauts responsables de la santé, selon deux anciens et actuels employés du Centre de contrôle des maladies (CDC) de Chine et trois autres personnes au courant de l’affaire. Selon deux de ces personnes, le personnel du CDC chinois a été encouragé à dénoncer aux organes disciplinaires du parti communiste les collègues qui avaient mal géré l’épidémie.
Alors que les critiques à l’encontre de la Chine s’intensifiaient, le gouvernement chinois a détourné les responsabilités. Au lieu de licencier les responsables de la santé, il a déclaré que la lutte contre le virus était un succès et a clos les enquêtes sur les responsables, avec peu de pertes d’emploi.
«Il n’y a pas eu de véritables réformes, car réformer signifie admettre la faute», a expliqué un expert en santé publique en contact avec de hauts responsables chinois de la santé, qui a demandé à ne pas être identifié en raison du caractère sensible de la question.
LES POLITICIENS ONT PRIS LE CONTRÔLE
Très tôt, les scientifiques chinois ont été réduits au silence et les politiciens ont pris le contrôle.
Alors que l’OMS négociait avec la Chine l’envoi d’une mission d’enquête sur la COVID-19 au début de 2020, c’est le ministère chinois des Affaires étrangères, et non les scientifiques, qui a décidé des conditions. La Chine a refusé d’accorder un visa à M. Ben Embarek de l’OMS, qui était à l’époque le principal expert en virus animal de l’agence. Selon les projets d’ordre du jour obtenus par AP, l’itinéraire a supprimé presque tous les points liés à la recherche des origines.
La visite de l’OMS a été confiée à Liang Wannian, un épidémiologiste proche des hauts fonctionnaires chinois, largement considéré comme défendant la ligne du parti et non les politiques soutenues par la science, selon neuf personnes au fait de la situation, qui ont refusé d’être nommées en raison du caractère sensible de l’affaire. M. Liang a également ordonné que le marché de Wuhan soit désinfecté avant que des échantillons puissent être prélevés et a promu une théorie peu plausible selon laquelle la COVID-19 provenait d’aliments congelés importés en Chine.
Lors d’un voyage en train avec le docteur Bruce Aylward, conseiller principal du chef de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus, M. Liang a fait pression sur l’agence des Nations unies pour qu’elle fasse l’éloge de la réponse de la Chine dans son rapport public. La nouvelle section était si flatteuse que ses collègues ont envoyé un courriel à M. Aylward pour lui suggérer de «la réduire un peu».
ATMOSPHÈRE TOXIQUE
Lorsque l’OMS a effectué une nouvelle visite à Wuhan en janvier 2021, la chasse aux origines était devenue très politisée. M. Liang, le fonctionnaire chinois chargé des deux visites précédentes de l’OMS, a organisé les travailleurs du marché pour qu’ils disent aux experts de l’OMS qu’aucun animal sauvage vivant n’était vendu et a supprimé du rapport des photos récentes d’animaux sauvages sur le marché.
L’équipe de l’OMS a conclu qu’une fuite de laboratoire était «extrêmement improbable». Quelques mois plus tard, le chef de l’OMS a déclaré qu’il était «prématuré» de rejeter la théorie de la fuite du laboratoire et a demandé à la Chine de faire preuve de plus de transparence, ce qui a exaspéré les autorités chinoises.
Selon une lettre obtenue par l’AP, la Chine a indiqué à l’OMS que toute mission future visant à trouver les origines de la COVID-19 devrait se dérouler ailleurs. Depuis lors, la coopération mondiale s’est arrêtée.
Selon dix chercheurs, experts médicaux et responsables de la santé, les scientifiques chinois sont toujours soumis à de fortes pressions. Les chercheurs qui ont publié des articles sur le coronavirus ont eu des problèmes avec les autorités chinoises. D’autres se sont vu interdire de se rendre à l’étranger pour assister à des conférences et à des réunions de l’OMS.
Le directeur de l’Institut des maladies virales du CDC chinois a été contraint de prendre sa retraite en raison de la publication de données commerciales sensibles, selon un ancien fonctionnaire du CDC chinois qui a refusé d’être nommé, craignant des répercussions.
«Cela a un rapport avec les origines, ils sont donc toujours inquiets, a déclaré le fonctionnaire. Si vous essayez d’aller au fond des choses, que se passera-t-il s’il s’avère que le produit provient de Chine?»