Le Sénat américain a adopté mardi, à une écrasante majorité, un projet de loi visant à protéger les enfants des contenus dangereux en ligne, faisant ainsi avancer ce qui serait le premier effort majeur du Congrès depuis des décennies pour tenir les entreprises technologiques responsables des dommages qu’elles causent.
Le projet de loi a été soutenu par les parents d’enfants qui se sont suicidés à la suite d’intimidation en ligne ou qui ont été lésés d’une quelconque façon par le contenu en ligne.
Cela obligerait les entreprises à prendre des mesures raisonnables pour prévenir tout préjudice sur les plateformes en ligne fréquemment utilisées par les mineurs, les obligeant à exercer un «devoir de diligence» et à garantir qu’elles utilisent par défaut les paramètres les plus sécuritaires possibles.
La Chambre n’a pas encore donné suite au projet de loi, mais le président Mike Johnson s’est dit «déterminé à travailler pour trouver un consensus». Les partisans espèrent que le vote fort du Sénat poussera la Chambre à agir avant la fin de la session du Congrès en janvier.
La législation vise à permettre aux enfants, aux adolescents et aux parents «de reprendre le contrôle de leur vie en ligne», a résumé le sénateur démocrate Richard Blumenthal du Connecticut, qui a rédigé le projet de loi avec la sénatrice républicaine Marsha Blackburn du Tennessee.
Il a précisé que le message adressé aux grandes entreprises technologiques est le suivant : «nous ne vous faisons plus confiance pour prendre des décisions à notre place».
Une voie à ouvrir
Le projet de loi serait le premier ensemble majeur de réglementation en lien avec la technologie à être adopté depuis des années, et il pourrait potentiellement ouvrir la voie à d’autres projets de loi qui renforceraient les lois sur la confidentialité en ligne ou définiraient des paramètres pour l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle, entre autres.
Bien qu’il existe depuis longtemps un soutien bipartite en faveur de l’idée selon laquelle les plus grandes entreprises technologiques devraient faire l’objet d’un examen plus minutieux du gouvernement, il y a eu peu de consensus sur la manière dont cela devrait être fait.
Si le projet de loi sur la sécurité des enfants devient loi, les entreprises seraient tenues d’atténuer les dommages causés aux enfants sur leurs plateformes, notamment l’intimidation et la violence, la promotion du suicide, des troubles de l’alimentation, de la toxicomanie et de l’exploitation sexuelle, ainsi que la publicité pour des produits illégaux tels que les stupéfiants, le tabac ou l’alcool.
Pour ce faire, les médias sociaux devraient offrir aux mineurs des options pour protéger leurs informations, désactiver les fonctionnalités addictives des produits et se désinscrire des recommandations algorithmiques personnalisées. Ils seraient également tenus d’empêcher les autres utilisateurs de communiquer avec les enfants et de limiter les fonctionnalités qui «augmentent, maintiennent ou étendent l’utilisation» de la plateforme, telles que la lecture automatique des vidéos ou la possibilité de récolter des récompenses.
Des plateformes «sécuritaires dès leur conception»
L’idée, disent MM Blumenthal et Blackburn, est que les plateformes soient «sécuritaires dès leur conception».
«Le message que nous envoyons aux grandes technologies est que les enfants ne sont pas un produit», a martelé M. Blackburn lors d’une conférence de presse, alors que le Sénat adoptait le projet de loi. «Les enfants ne sont pas une source de profit. Et nous allons les protéger dans l’espace virtuel.»
Plusieurs entreprises technologiques, dont Microsoft, X et Snap, ont soutenu la législation. Mais NetChoice, un groupe industriel technologique qui représente X et Snap, ainsi que Google, TikTok et Meta, l’a qualifié d’inconstitutionnel.
Carl Szabo, vice-président et avocat du groupe, a affirmé dans un communiqué que «les risques liés à la cybersécurité, à la censure et à la constitutionnalité de la loi restent sans réponse». Il n’a pas donné de détails.
En plus des préoccupations liées au premier amendement, certains critiques ont déclaré que la législation pourrait nuire aux enfants qui ne pourraient pas accéder aux informations sur les questions LGBTQ+ ou les droits reproductifs — bien que le projet de loi ait été révisé pour répondre à bon nombre de ces critiques, et que les principaux groupes LGBTQ+ ont décidé de soutenir le projet de loi.
Le projet de loi comprend également une mise à jour des lois sur la protection de la vie privée des enfants qui interdisent aux sociétés en ligne de collecter des informations personnelles sur des utilisateurs de moins de 13 ans, portant cet âge à 17 ans. Il interdirait également la publicité ciblée destinée aux adolescents et permettrait aux adolescents ou à leurs tuteurs de supprimer les informations personnelles d’un mineur.
Sauver des vies
Alors que leur projet de loi était au point mort pendant plusieurs mois, MM Blumenthal et Blackburn ont travaillé en étroite collaboration avec les parents d’enfants qui ont été lésés par les médias sociaux — que ce soit par la cyberintimidation ou par des défis sur les réseaux sociaux, des tentatives d’extorsion, des troubles de l’alimentation, des trafics de drogue ou d’autres dangers potentiels. Lors d’une conférence de presse émouvante la semaine dernière, les parents ont déclaré qu’ils étaient heureux que le Sénat aille enfin de l’avant avec le projet de loi.
Maurine Molak, la mère d’un jeune de 16 ans décédé par suicide après «des mois de cyberintimidation incessante et menaçante», a dit croire que le projet de loi pouvait sauver des vies. Elle a exhorté tous les sénateurs à voter en sa faveur.
«Quiconque croit que le bien-être et la sécurité des enfants doivent passer avant la cupidité des grandes technologies devrait accorder son soutien à cette législation historique», a plaidé Mme Molak.