LE CAIRE — Il y a un an presque jour pour jour, par une nuit claire, une douzaine de combattants lourdement armés ont fait irruption dans la maison d’Omaima Farouq, dans un quartier chic de la capitale soudanaise de Khartoum. Sous la menace d’une arme, ils ont fouetté et giflé la femme, en plus de terroriser ses enfants. Ensuite, ils les ont expulsés de la maison clôturée à deux étages.
«Depuis, notre vie est ruinée, dit l’institutrice de 45 ans. Tout a changé cette année.»
Mme Farouq, qui est veuve, et ses quatre enfants vivent désormais dans un petit village à l’extérieur de la ville centrale de Wad Madani, à 136 kilomètres au sud-est de Khartoum. Ils dépendent de l’aide des villageois et des philanthropes puisque les groupes humanitaires internationaux ne peuvent pas se rendre au village.
Le Soudan est déchiré par la guerre depuis un an maintenant, depuis que les tensions de longue date entre son armée et les troupes paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ont éclaté en affrontements de rue dans la capitale Khartoum à la mi-avril 2023. Les combats se sont rapidement étendus à tout le pays.
Le conflit a été éclipsé par la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, qui a provoqué depuis octobre une crise humanitaire pour les Palestiniens, en plus d’une menace de famine sur le territoire.
Mais des secouristes préviennent que le Soudan se dirige vers une famine catastrophique encore plus grande, avec un nombre de victimes important dans les mois à venir. Les réseaux de production et de distribution alimentaires ne fonctionnent plus et les agences humanitaires sont incapables d’atteindre les régions les plus touchées.
Selon plusieurs informations, le conflit a donné lieu à de nombreuses atrocités, notamment de meurtres, de déplacements et de viols, en particulier près de la capitale et dans la région occidentale du Darfour.
Justin Brady, chef du bureau de coordination humanitaire des Nations Unies pour le Soudan, a averti que des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes pourraient mourir dans les mois à venir de causes liées à la malnutrition.
«La situation va devenir très affreuse très rapidement si nous ne parvenons pas à surmonter à la fois les problèmes de ressources et les problèmes d’accès», a-t-il averti. Le monde, a-t-il ajouté, doit agir rapidement pour faire pression sur les deux parties afin qu’elles cessent les combats.
Une crise oubliée?
La communauté internationale n’a prêté que peu d’attention à ce conflit. La campagne humanitaire de l’Organisation des Nations unies (ONU) a besoin de quelque 2,7 milliards de dollars cette année pour fournir de la nourriture, des soins de santé et d’autres produits à 24 millions de personnes au Soudan, soit près de la moitié de la population du pays.
Jusqu’à présent, les bailleurs de fonds n’ont donné que 145 millions de dollars, soit environ 5 % de la somme demandée, selon le bureau humanitaire.
Le «niveau de négligence internationale est choquant», a récemment déclaré Christos Christou, président de l’organisation médicale Médecins sans frontières (MSF).
La situation des combats sur le terrain se détériore. L’armée, dirigée par le général Abdel-Fattah Burhan, et les FSR, commandées par le général Mohammed Hamdan Dagalo, ont fait un carnage à Khartoum. Les forces de RSF ont envahi une grande partie du Darfour, tandis que Burhan a déplacé le gouvernement et son quartier général vers la ville de Port-Soudan, sur la mer Rouge.
L’Unité soudanaise de lutte contre la violence à l’égard des femmes, une organisation gouvernementale, a recensé au moins 159 cas de viols et de viols collectifs au cours de l’année écoulée, presque tous à Khartoum et au Darfour. La responsable de l’organisation, Sulima Ishaq Sharif, a déclaré que ce chiffre ne représente que la pointe de l’iceberg, car de nombreuses victimes ne s’expriment pas par peur de représailles ou de la stigmatisation liée au viol.
Selon un rapport établi par des experts des Nations Unies au Conseil de sécurité en début d’année, le Darfour connaît «ses pires violences depuis 2005».
Les groupes humanitaires étant incapables d’atteindre les camps de personnes déplacées du Darfour, huit familles sur dix dans les camps ne mangent qu’un seul repas par jour, a déclaré Adam Rijal, porte-parole de la Coordination pour les personnes déplacées et les réfugiés au Darfour.
Dans le camp de Kelma, dans la province du Darfour Sud, près de trois enfants en moyenne meurent toutes les 12 heures, la plupart à cause de maladies liées à la malnutrition. Selon M. Rijal, le centre médical du camp reçoit chaque jour entre 14 et 18 cas de malnutrition, principalement des enfants et des femmes enceintes.
La guerre a tué au moins 14 600 personnes à travers le Soudan et ont forcé au moins 8,5 millions de personnes à fuir — ce que les Nations unies considèrent comme la plus grande crise de déplacement interne dans le monde.
Beaucoup sont contraints de fuir à plusieurs reprises à mesure que la guerre s’étend.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, environ 3,5 millions d’enfants âgés de moins de 5 ans souffrent de malnutrition aiguë, dont plus de 710 000 souffrent de malnutrition aiguë sévère.
«Nous assistons à une faim, une souffrance et une mort massives. Et pourtant, le monde détourne le regard», a déclaré Arif Noor, directeur de Save the Children au Soudan.
Les travailleurs humanitaires affirment que le monde doit agir.
«Le Soudan est décrit comme une crise oubliée. Je commence à me demander combien de personnes étaient au courant de cette situation et l’ont oublié, a déclaré Justin Brady. Il y en a d’autres qui retiennent plus l’attention que le Soudan. Je n’aime pas comparer les crises. C’est comme comparer deux patients atteints d’un cancer. Ils ont tous deux besoin d’être soignés.»