Cette année, le plus grand festival de musique d’Ukraine a touché une corde sensible différente. Finis les têtes d’affiche internationales, les immenses salles de spectacle et les centaines de milliers de visiteurs.
Au lieu de cela, les artistes locaux les plus appréciés du pays sont montés sur scène le week-end dernier au Festival Atlas. La scène a été érigée sur le stationnement d’un centre commercial, seule option qui contenait un abri suffisamment grand pour contenir les 25 000 personnes attendues par les organisateurs en cas de raid aérien.
Une jeunesse insouciante côtoyait des commandants militaires endurcis et des chanteurs célèbres qui interprétaient des chansons empreintes de fierté nationale. La musique était certes le principal attrait, mais il s’agissait aussi de briser l’illusion que la capitale est invulnérable aux batailles sanglantes qui se déroulent à des centaines de kilomètres de là.
«Ce genre de festivals ne peut être séparé de la vie du pays. Le pays est en guerre. Les questions centrales ici devraient être liées à la guerre», a déclaré Vsevolod Kozhemyako, homme d’affaires et l’un des fondateurs de la 13e brigade Khartia, qui fait désormais partie de la Garde nationale ukrainienne et qui défend la ligne de front à Kharkiv.
«Les gens qui sont encore jeunes et qui ne rejoignent pas (le combat) doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas vivre dans une bulle», a-t-il soutenu.
Et pourtant, c’est précisément ce que l’on ressentait à Kyiv, alors que la guerre approche de sa troisième année. Au moment où des soldats ukrainiens sont tués et blessés chaque jour le long de la ligne de front sinueuse de 1000 kilomètres à l’est, la capitale contraste avec ses bars remplis de clients.
De temps en temps, Kyiv se retrouve confrontée à la guerre. La semaine dernière, un barrage de missiles russes a détruit un hôpital pour enfants et une clinique privée, lors de l’une des attaques les plus meurtrières depuis l’invasion à grande échelle de la Russie. Les habitants sont aux prises avec des coupures d’électricité causées par la destruction ciblée par Moscou de la production d’énergie ukrainienne, au plus fort d’une vague de chaleur estivale.
À chaque coin de rue du festival de musique – la première fois depuis l’invasion à grande échelle du pays par la Russie en février 2022 – les visiteurs ont été confrontés à la réalité incontournable: leur pays est pris au piège d’une guerre d’usure sanglante. Les organisateurs du festival espéraient récolter deux millions d’euros pour aider les soldats à s’approvisionner sur la ligne de front.
Dans le stationnement au sous-sol du centre commercial, diverses unités militaires, de Khartia à la 3e brigade d’assaut, proposaient des jeux interactifs pour attirer les dons et d’éventuelles recrues. Le jeu de tir à la première personne offrait aux visiteurs la possibilité d’améliorer leur entraînement au tir en abattant des fantassins virtuels obscurs. Dans un autre coin, des médecins brandissaient des membres en plastique coupés et proposaient une formation médicale d’urgence.
Le festival s’est terminé dimanche avec une performance très attendue de Serhiy Zhadan et de son groupe Zhadan and Dogs. M. Zhadan, un artiste célèbre surnommé le poète du Donbass, a lui-même récemment rejoint Khartia.
«C’est juste une petite pause, une occasion de reprendre son souffle», a dit M. Zhadan, quelques minutes avant que la foule ne rugisse et qu’il monte sur scène. «Les choses les plus importantes, elles se passent là-bas, en première ligne.»