Vol MH370: les familles figées dans le temps dix ans plus tard

Eileen Ng, The Associated Press
Vol MH370: les familles figées dans le temps dix ans plus tard

KUALA LUMPUR, Malaisie — Au cours de la dernière décennie, Grace Subathirai Nathan a obtenu son diplôme de droit, s’est mariée, a ouvert un cabinet d’avocats et a eu deux bébés. Mais une partie d’elle est figée dans le temps, toujours dans le déni de la perte de sa mère dans l’avion de Malaysia Airlines disparu en 2014.

Il n’y a pas eu de cérémonie funéraire et Grace, 35 ans, parle toujours de sa mère au présent. Lorsqu’elle s’est mariée en 2020, elle a descendu l’allée avec une photo de sa mère dans un bouquet de marguerites ― choisi en raison du nom de sa mère, Anne Catherine Daisy.

L’avocate pénaliste malaisienne est devenue l’un des principaux visages de Voice 370, un groupe de soutien aux proches, en canalisant son chagrin pour maintenir en vie la quête de réponses dans la disparition du vol MH370 qui a déchiré des familles.

«J’ai progressé dans ma carrière, dans ma vie de famille… mais j’essaie toujours de faire en sorte que les recherches sur le vol MH370 se poursuivent. J’essaie de faire pression pour que l’avion soit retrouvé, donc en ce sens, je n’ai pas avancé, a déclaré Mme Grace dans une interview.

«Logiquement, dans mon cerveau, je sais que je ne la reverrai probablement jamais, mais je n’ai pas réussi à l’accepter pleinement, et je pense qu’émotionnellement, il y a un fossé qui n’a pas été comblé en raison de l’absence de fermeture.»

La disparition déroutante du vol 370 continue de captiver les gens. Le Boeing 777 a quitté Kuala Lumpur avec 239 personnes le 8 mars 2014, mais est disparu des écrans radar peu après et n’a jamais atteint Pékin, sa destination. Les enquêteurs affirment que quelqu’un a délibérément coupé le système de communication de l’avion et l’a fait dévier de sa trajectoire. 

D’après les données satellitaires, l’avion aurait plongé dans une zone reculée du sud de l’océan Indien, mais les recherches massives ont été infructueuses. Aucun débris ni corps n’a jamais été retrouvé, à l’exception de fragments échoués sur les côtes africaines et des îles de l’océan Indien.

Les familles des personnes à bord, dont plusieurs sont originaires de Chine, ont trouvé différents moyens de surmonter leur chagrin, mais une chose reste constante : leur quête de justice et de réponses. La douleur tourmente encore certaines familles qui doutent des théories sur le sort de l’avion et s’accrochent à l’espoir que leurs proches reviennent.

Comme Grace, le fermier chinois Li Eryou n’a pas organisé de funérailles ou de service commémoratif pour son fils unique. 

Il a chez lui un tableau sur lequel il compte chaque jour qui passe depuis la disparition du vol MH370. Li Yanlin, 27 ans, avait une carrière prometteuse d’ingénieur dans une entreprise de télécommunications, mais elle a été interrompue.

La douleur survient facilement, déclenchée par un son, un objet, voire une fleur, a expliqué M. Li. 

«Toutes ces années, j’ai dérivé dans la vie comme un fantôme, a déclaré Li lors d’une interview dans la ville de Handan, en Chine. Lorsque je rencontre mes amis et mes parents, je dois faire un sourire. La nuit, je peux devenir fidèle à moi-même. Quand tout est calme au cœur de la nuit, je pleure sans que les gens le sachent.»

Li a récemment déménagé chez sa fille en raison de problèmes de santé. Dans son ancienne résidence, des coupures de presse sur l’avion disparu, jaunies par le temps, sont encore accrochées au mur et la chambre de son fils est restée pratiquement intacte.

«Je crois que mon fils est toujours sur le vol, qu’il est toujours là. Ou bien il vit sur une île isolée, comme Robinson Crusoé», a dit M. Li, en référence au livre préféré de son fils. 

Li et sa femme voyagent rarement, mais ils se sont rendus à plusieurs reprises en Malaisie pour obtenir des réponses et à Madagascar, où des morceaux de l’avion se sont échoués sur des plages. L’absence de réponses ne fait qu’aggraver leur agonie.

Elles font partie des quelque quarante familles chinoises qui ont rejeté une petite indemnité de compassion versée par la compagnie aérienne. Elles ont intenté un procès à cinq entités, dont Malaysia Airlines, Boeing et le fabricant de moteurs d’avion Rolls-Royce, afin d’obtenir des indemnités plus importantes et des réponses sur les responsabilités de chacun. Les audiences du tribunal ont commencé à Pékin en novembre et le verdict pourrait prendre des mois.

Il y a maintenant un nouvel espoir de tourner la page. Lors d’un événement commémoratif à Kuala Lumpur dimanche dernier, le gouvernement malaisien a déclaré qu’il examinerait une proposition pour une nouvelle recherche par la société américaine de robotique marine Ocean Infinity, qui a mené une chasse «pas de trouvaille, pas de frais» en 2018. 

Le premier ministre malaisien Anwar Ibrahim a déclaré lors d’un discours à l’Australian National University à Canberra jeudi qu’il était enclin à soutenir la réouverture d’une enquête sur ce qui est arrivé au vol MH370, mais que la décision devait être basée sur des faits irréfutables.

On ne sait pas si Ocean Infinity dispose de nouvelles données permettant de localiser l’avion.

«Une fois que nous savons ce qui s’est passé, alors seulement une véritable forme de guérison peut commencer … jusqu’à ce que ces questions soient répondues, peu importe combien vous essayez d’aller de l’avant ou combien vous essayez de fermer ce chapitre, il ne disparaîtra jamais», a expliqué Grace.

À l’origine, sa mère ne devait pas prendre le vol. Elle devait s’envoler une semaine plus tôt, mais elle a reporté son voyage pour s’occuper de la grand-mère malade de Grace, qui est décédée quelques mois après la disparition de l’avion. 

«Le MH370 va bien au-delà de notre besoin de tourner la page et je veux que tout le monde sache que le MH370 n’est pas de l’histoire ancienne. Il s’agit de l’avenir de la sécurité aérienne, car tant que nous n’aurons pas retrouvé le MH370, nous ne pourrons pas empêcher qu’une telle chose se reproduise», a déclaré Grace.

Jacquita Gomes, dont le mari Patrick était superviseur à bord de l’avion, a dit que 126 livres ont été écrits et que de nombreux documentaires ont été réalisés sur le vol MH370, mais qu’il s’agit en grande partie de spéculations sans véritables réponses.

«Nous gardons son souvenir vivant et nous parlons constamment de lui. Il est peut-être parti, mais il n’a pas été oublié et ne le sera jamais, c’est pourquoi nous demandons instamment que les recherches se poursuivent, a-t-elle déclaré. Nous devons nous assurer que les vols sont à nouveau sûrs. … N’oublions pas tous ceux qui étaient à bord.»

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