MONTRÉAL — Selon le ministre Steven Guilbeault, le gouvernement du Québec aura droit à une période de consultation de deux mois après l’imposition d’un décret d’urgence par Ottawa pour protéger les caribous, alors que son homologue québécois parle d’une décision «irresponsable».
Lors d’un point de presse mardi matin à Ottawa, le ministre fédéral de l’Environnement a indiqué qu’il n’avait «pas le choix» et que la loi l’oblige «à recommander un décret d’urgence» si une espèce est menacée.
Comme «l’habitat du caribou au Québec n’est pas protégé», le ministre compte recommander au gouvernement fédéral d’imposer des mesures de protection.
«Le gouvernement du Québec s’est engagé en 2022 à protéger 65 % de l’air du caribou. Est-ce que vous avez vu ça dans ce que Québec a déposé récemment? Non. Alors, ils ont brisé leur propre promesse. Et ce n’est pas la première fois qu’ils le faisaient», a indiqué le ministre Guilbeault en faisant référence aux mesures de protection annoncées par le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, au mois d’avril.
Ces mesures, estimées à 60 millions $, ne concernent que trois des 13 populations de caribous de la province; elles sont donc insuffisantes, selon le ministre fédéral.
«Complètement irresponsable»
Appelé à réagir mardi, le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, a affirmé qu’imposer un décret «serait complètement irresponsable» alors que «le Québec est la province qui en fait le plus» pour les caribous.
Le ministre Charrette a fait valoir qu’un décret aurait des conséquences économiques majeures pour les travailleurs de l’industrie forestière.
«Il y a plusieurs petites municipalités au Québec qui vivent à 100 % de la foresterie. Si on imposait un décret sur un large territoire, on pourrait parler de milliers d’emplois compromis.»
Au même moment à Ottawa, le chef du Parti conservateur du Canada faisait valoir des arguments semblables.
«Le ministre radical et libéral de l’Environnement menace un décret qui risque des milliers d’emplois dans le secteur forestier au Québec. Moi, je vais renverser ce décret radical pour protéger ces emplois-là. Mais d’ici là, on verra une augmentation dans le coût du bois pour bâtir les logements et des pertes d’emplois», a indiqué Pierre Poilievre lors de la période des questions à la Chambre des communes.
Au fil du temps, l’industrie forestière a enlevé une grande partie de la vieille forêt et l’a remplacée par des arbres plus jeunes, privant ainsi le caribou de son habitat et de sa nourriture. Également, les chemins forestiers favorisent le déplacement des prédateurs naturels du caribou comme l’ours et le loup.
La juridiction est claire, selon Guilbeault
Ça fait maintenant deux ans que le ministre Guilbeault lance des ultimatums au gouvernement du Québec pour qu’il protège les caribous.
Lorsqu’il avait évoqué pour la première fois l’idée d’imposer des mesures à la province en avril 2022, le premier ministre François Legault avait déploré le ton «centralisateur» d’Ottawa et indiqué que la protection du caribou était «un champ de compétence du Québec».
Un avis que ne partage pas Steven Guilbeault.
«Pour ceux qui pensent qu’on n’a pas de juridiction sur cette question-là, la Cour suprême, dans sa décision l’an passé sur l’évaluation environnementale, a été très clair. La question des espèces en péril est un champ de compétence où le fédéral peut intervenir», a indiqué le ministre de l’Environnement, mardi.
«La loi prévoit qu’il y a une période de consultation. Si le cabinet devait décider qu’on devrait aller de l’avant avec un décret d’urgence, comme on l’avait fait avec la rainette faux-grillon, il y a une période de consultation avant la mise en place du décret. Donc le Québec a quand même au moins deux mois, 60 jours de consultation», a ajouté le ministre fédéral.
Menacé par l’activité humaine
En août 2022, la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards avait déposé un rapport auprès du gouvernement du Québec, dans lequel elle soulignait qu’il y a «urgence d’agir» et qu’il fallait «procéder le plus rapidement possible à l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie de protection et de rétablissement du caribou forestier».
Quelques jours après ce rapport, Québec et Ottawa avaient conclu une entente de principe pour protéger l’espèce et la province s’était engagée à publier sa stratégie finale sur le caribou forestier et montagnard avant la fin du mois de juin 2023.
Le ministre Charette avait toutefois repoussé la date à cause des incendies de forêt qui frappaient alors le territoire québécois. Le gouvernement voulait examiner les répercussions des incendies sur le caribou et sur l’exploitation forestière.
Puis, le ministre Guilbeault avait demandé à la province de déposer sa stratégie avant le 1er mai 2024.
La population de caribous est en déclin au Québec depuis plusieurs années. Il ne resterait plus qu’environ 5000 caribous forestiers ou montagnards dans la province.