Changement climatique: un projet pilote pour préciser le lien avec les canicules

Jordan Omstead, La Presse Canadienne
Changement climatique: un projet pilote pour préciser le lien avec les canicules

TORONTO — La vague de chaleur qui a frappé l’Est du Canada la semaine dernière a provoqué des conditions étouffantes, mis la pression sur le réseau électrique et mené à plusieurs records de température.

Même si les températures inhabituellement élevées ont maintenant diminué, des questions fondamentales demeurent: dans quelle mesure cette vague de chaleur était-elle plus probable en raison du changement climatique? Et à quel point la situation a-t-elle empiré à cause de cela?

D’ici quelques jours, les chercheurs d’Environnement et Changement climatique Canada devraient avoir des réponses.

Les données seront révélées dans le cadre d’un nouveau projet pilote canadien d’attribution rapide d’événements météorologiques extrêmes. Environnement Canada pourra dire, environ une semaine après la fin d’une vague de chaleur, si et dans quelle mesure le changement climatique l’a rendu plus probable ou plus intense.

Environnement et Changement climatique Canada serait l’un des premiers bureaux gouvernementaux au monde à déployer publiquement un tel outil et à l’appliquer automatiquement aux vagues de chaleur dans de grandes régions du pays.

«Je pense que c’est une étape importante», a déclaré Nathan Gillett, chercheur scientifique à Environnement et Changement climatique Canada, qui a aidé à mener le projet pilote depuis son approbation en 2022 dans le cadre de la stratégie nationale d’adaptation du gouvernement fédéral.

Les climatologues expliquent depuis longtemps comment les émissions liées au réchauffement de la planète rendent les phénomènes météorologiques extrêmes – des vagues de chaleur aux fortes précipitations – plus probables et plus graves partout au Canada. Des températures qui auraient été pratiquement impossibles sans la combustion des combustibles fossiles sont en train de devenir les nouveaux extrêmes, préviennent les scientifiques.

Des données plus rapides

Les études sur ces vagues de chaleur ou inondations peuvent cependant prendre des mois avant d’apparaître dans une revue scientifique avec un comité de lecture.

D’ici là, les décideurs ont peut-être débattu de la manière de reconstruire ou de l’endroit où se relocaliser après une inondation dévastatrice, par exemple, sans une indication claire du rôle du changement climatique. L’attention du public et le cycle de l’information se sont déplacés ailleurs.

Des études rapides, popularisées au cours de la dernière décennie par des groupes de recherche internationaux pionniers, cherchent à injecter la science du climat dans le débat lorsque cela est le plus pertinent.

Prenons, par exemple, les ponts détruits lors des inondations de 2021 en Colombie-Britannique, a suggéré M. Gillett.

«Si vous reconstruisez ces ponts, il est utile de savoir si l’événement a été rendu plus probable par le changement climatique induit par l’Homme, et aussi de savoir comment cette probabilité pourrait changer à l’avenir», a affirmé M. Gillett, co-auteur d’une étude qui indiquait que cet événement en Colombie-Britannique était 45 % plus probable en raison du réchauffement causé par la nature humaine.

Les études d’attribution suivent généralement le même principe de base. Les chercheurs exécutent des modèles climatiques selon deux scénarios différents. Un scénario est calqué sur un climat préindustriel avant que les humains ne commencent à brûler des combustibles fossiles, et un second est basé sur une simulation représentant le climat tel qu’il est aujourd’hui.

Les scientifiques comparent ensuite ces résultats à un événement météorologique extrême, comme la vague de chaleur dans l’Est du Canada, pour déterminer comment il a pu être influencé par le changement climatique d’origine humaine.

M. Gillett a déclaré que le projet pilote sera éventuellement appliqué à d’autres conditions météorologiques extrêmes, telles que les précipitations et les températures froides, et que des travaux sont en cours pour l’étendre aux incendies de forêt.

Un «grand pas en avant»

Alors que de nombreuses agences météorologiques nationales effectuent des études d’attribution, l’engagement du Canada dans un programme d’études rapides de cette envergure en est un exemple frappant, a indiqué Sarah Kew, chercheuse en climatologie à l’Institut royal météorologique des Pays-Bas et à World Weather Attribution.

«C’est un grand pas en avant en matière d’attribution», a-t-elle soutenu.

World Weather Attribution, qui est composée d’une équipe de chercheurs internationaux, a été à l’avant-garde de la science d’attribution rapide, collaborant avec des scientifiques locaux, dont M. Gillett d’Environnement Canada, sur des dizaines d’études au cours de la dernière décennie qui ont contribué à standardiser les pratiques de recherche.

Quelques jours après qu’une vague de chaleur se soit calmée au Mexique au début du mois, World Weather Attribution a publié un rapport suggérant qu’elle était 35 fois plus probable et environ 1,4 degré plus chaude en raison du changement climatique.

Les études d’attribution analysent également ce qui pourrait être une variation naturelle du climat, plutôt qu’un simple changement climatique provoqué par l’humain. Une étude de World Weather Attribution sur la sécheresse en Afrique australe réalisée plus tôt cette année a révélé qu’El Niño, un cycle climatique naturel, était le principal facteur, et non le changement climatique.

«Le climat change de plus en plus vite. Et nous voyons de plus en plus d’extrêmes chaque année. C’est vraiment fou le nombre d’événements extrêmes qui se produisent. Les questions se posent donc de plus en plus vite», a affirmé Mme Kew.

«Il est important qu’il y ait des réponses scientifiques à portée de main. Pas de réponses biaisées, mais des réponses qui ont été développées avec une bonne et solide méthodologie.»

Un appel à l’action

Plus largement, la science de l’attribution a également renforcé les efforts visant à tenir les grands émetteurs, tels que les compagnies pétrolières, comme responsables des pertes et des coûts liés à des phénomènes météorologiques extrêmes précis.

Les outils d’attribution rapide sont mieux utilisés comme appel à l’action, a déclaré Rachel White, professeure adjointe de sciences atmosphériques à l’Université de la Colombie-Britannique, qui utilise des modèles climatiques pour étudier les événements météorologiques extrêmes.

«Tout ce que cela fait, c’est montrer à quel point le problème est grave; nous devons encore arrêter d’aggraver le problème», a-t-elle souligné.

«Nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre très rapidement, et ce d’une manière (…) rapide, équitable et permanente.»

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