Contamination au mercure: la Première Nation de Grassy Narrows intente une poursuite

Paola Loriggio, La Presse Canadienne
Contamination au mercure: la Première Nation de Grassy Narrows intente une poursuite

TORONTO — Une Première Nation du nord de l’Ontario, en proie à une intoxication au mercure depuis des décennies, a déclaré mardi qu’elle poursuivait les gouvernements de l’Ontario et du Canada en raison de la contamination au mercure d’un système fluvial qui traverse son territoire.

La Première Nation de Grassy Narrows allègue que les gouvernements ont manqué à leurs obligations en ne veillant pas à ce que la communauté puisse exercer en toute sécurité son droit de pêcher.

La poursuite allègue que les gouvernements ont d’abord laissé le réseau hydrographique English-Wabigoon être contaminé, puis qu’ils n’ont pas réussi à remédier à cela, tout en autorisant des activités industrielles qui ont aggravé les dégâts.

Le mercure est nocif pour les humains qui mangent du poisson contaminé, comme pour les habitants de Grassy Narrows qui pêchent pour manger, gagner leur vie et maintenir leur mode de vie, selon la poursuite.

S’exprimant mardi sur les marches du palais de justice du centre-ville de Toronto, le chef de la Première Nation de Grassy Narrows, Rudy Turtle, a déclaré qu’il croyait que la question aurait été traitée de manière très différente si elle avait touché une région et une population différentes.

«Nous ne sommes pas considérés comme aussi importants parce que nous sommes très peu nombreux», a-t-il affirmé à propos de la communauté, dont environ 1000 membres vivent dans la réserve.

Cela est arrivé à un point où une action en justice est nécessaire, a-t-il ajouté.

«Nous faisons cela pour nos enfants, nos petits-enfants. Une nouvelle génération de jeunes naît chaque jour. Et ils naissent dans une rivière contaminée avec des poissons contaminés», a déclaré le chef.

La poursuite vise, entre autres, à obtenir une ordonnance obligeant les gouvernements à assainir et à protéger la rivière et le territoire de Grassy Narrows, et à interdire l’autorisation d’une utilisation industrielle des terres sur ou à proximité du territoire qui porterait atteinte aux droits issus de traités.

Adrienne Telford, l’une des avocates représentant la Première Nation dans le dossier, a expliqué que cela implique de demander à la Couronne de cesser de permettre à une usine en amont de la communauté de contaminer l’environnement et de causer des dommages.

«Nous croyons que la Couronne devrait devoir prouver ou être en mesure de garantir que l’usine ne cause pas de préjudice pour qu’elle puisse fonctionner», a-t-elle affirmé.

Grassy Narrows a indiqué qu’une déclaration de revendications avait été signifiée aux gouvernements mardi.

Aucune des allégations n’a été vérifiée par un tribunal, et ni la province ni le gouvernement fédéral n’ont immédiatement répondu à une demande de commentaires.

Une étude sur les impacts de l’usine

Cette action en justice fait suite à une étude suggérant que les rejets d’une usine de papier en amont de la communauté exacerbent la contamination au mercure, qui remonte à plusieurs décennies.

Les chercheurs à l’origine de l’étude ont indiqué que même si les eaux usées de l’usine de Dryden, en Ontario, ne contiennent pas de mercure, la combinaison de sulfate et de matière organique qu’elles contiennent contribue à la production élevée de méthylmercure – la forme la plus toxique du contaminant.

Les niveaux de méthylmercure dans les poissons de la rivière pourraient être deux fois plus élevés qu’ils ne le seraient sans les rejets de l’usine, ont-ils dit.

L’eau de la communauté a été contaminée lorsque l’usine a déversé 9000 kilogrammes de mercure dans le réseau hydrographique de English-Wabigoon dans les années 1960. L’usine a cessé d’utiliser du mercure dans son processus industriel dans les années 1970, mais les niveaux de mercure en aval de l’usine n’ont pas diminué de manière significative depuis les années 1980.

Lorsque l’étude a été publiée le mois dernier, un porte-parole du ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs de l’Ontario a déclaré que le gouvernement continuerait de travailler avec le propriétaire de l’usine et les communautés autochtones touchées par la contamination au mercure dans la région.

Cette poursuite est la première intentée par Grassy Narrows depuis plusieurs décennies concernant le problème du mercure et la violation de ses droits issus de traités, a précisé Mme Telford.

«C’est la première fois qu’ils intentent un procès pour traiter de manière exhaustive les préjudices, les préjudices collectifs subis par leur communauté, non seulement à cause du mercure, mais aussi de la contamination actuelle de l’usine de Dryden, ainsi que d’autres activités industrielles d’extraction et de dégradation de leur territoire, de leurs terres et de leurs eaux, qui durent depuis plusieurs décennies maintenant», a-t-elle détaillé.

La déclaration allègue que les gouvernements ont également autorisé ou réglementé d’autres utilisations industrielles et de terres qui ont affecté négativement la Première Nation, notamment l’exploitation forestière, l’exploitation minière, les barrages et les sites potentiels d’élimination des déchets nucléaires.

Grassy Narrows a réussi à obtenir certains engagements du gouvernement dans le passé, «mais franchement, ce ne sont que des miettes de pain», a soutenu Mme Telford.

«Ce litige vise donc à demander enfin au tribunal d’intervenir, de corriger le mauvais comportement de la Couronne et d’enfin indemniser Grassy Narrows pour tous les préjudices qui leur sont arrivés, et aussi de leur donner une certaine mesure de contrôle et de capacité à protéger leur territoire, protéger leur population et restaurer leur mode de vie.»

Partager cet article
S'inscrire
Me notifier des
guest
0 Commentaires
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires