Des chercheurs font une «biopsie» des moules pour étudier leur environnement

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
Des chercheurs font une «biopsie» des moules pour étudier leur environnement

MONTRÉAL — Des chercheurs de l’Institut national de la recherche scientifique étudient des moules avec une technique normalement utilisée pour diagnostiquer un cancer chez l’humain, ce qui permet de prendre un cliché de l’environnement dans lequel les mollusques existent.

Les chercheurs procèdent à une biopsie liquide pour examiner quelques millilitres d’un liquide que produit la moule. Cela leur permet de déterminer avec quels autres organismes la moule partage son environnement.

«Les moules sont une espèce sentinelle qui est très sensible aux perturbations environnementales et anthropiques, a dit la doctorante Sophia Ferchiou. (Chaque moule) filtre environ 25 litres d’eau par jour. Et en filtrant l’eau, elle ramasse un paquet d’informations concernant son milieu, par exemple l’ADN des virus, des bactéries, des parasites et des autres organismes qui partagent son milieu.»

En santé humaine, la biopsie liquide sert à analyser l’ADN qui circule dans le sang pour détecter les traces d’un cancer. Elle fournit notamment de riches indications sur le type de cancer dont est atteint le patient, le stade d’avancement ou encore les mutations entraînées par la maladie.

En appliquant cette technique développée par Yves St-Pierre, qui est professeur et expert en cancérologie à l’INRS, à l’analyse de quelques millilitres d’hémolymphe (un liquide analogue au sang des vertébrés) des moules, les chercheurs évitent de nuire à l’écosystème en devant détruire des centaines, voire des milliers, de moules pour obtenir les informations dont ils ont besoin pour comprendre dans quel environnement elles existent.

«Si un poisson nage à côté de ma moulière, il va perdre des écailles et des cellules, puis la moule va filtrer cet ADN et l’accumuler en elle, a expliqué Mme Ferchiou. Ça me donne des informations sur la biodiversité, mais aussi sur la santé de la moule elle-même.»

L’équipe poursuit ses recherches sur quatre sites au Québec, en collaboration avec les biologistes de Parcs Canada: Moulin-à-Baude dans la région de Tadoussac; Cap-de-Bon-Désir et Pointe-à-John, sur la Côte Nord; et dans le parc du Bic, dans le Bas-du-Fleuve, en collaboration avec la SÉPAQ.

Cela a déjà permis de constater, a dit Mme Ferchiou, que les moules qui sont exposées à des eaux usées ont un métabolisme plus faible et qu’elles contiennent des bactéries et des virus potentiellement pathogènes non seulement pour elles-mêmes, mais aussi pour l’humain.

De même, dans les moules exposés aux eaux usées agricoles, les chercheurs ont trouvé l’ADN de différents parasites, dont un qui affecte les bovins, a-t-elle ajouté.

En appliquant des techniques médicales aux écosystèmes marins, a précisé Mme Ferchiou, les chercheurs peuvent non seulement effectuer un diagnostic, mais aussi observer des signes précurseurs de futurs enjeux qui toucheront un écosystème, comme des traces d’un produit chimique ou l’apparition d’un virus.

Il leur sera ensuite possible de déployer des mesures de correction précoces, puis d’en suivre les résultats à l’aide de la biopsie liquide.

«C’est un peu une manière de lever des drapeaux rouges, puis de pouvoir intervenir avant que le milieu ne soit trop affecté, a dit la chercheuse. Ce qu’on fait, c’est un peu comme une photo de l’environnement à un moment précis. Et c’est important de faire plusieurs photos (…) à moyen et long terme pour voir comment le milieu se comporte, est-ce qu’il va mieux.»

Ces travaux, a ajouté Mme Ferchiou, se trouvent «vraiment à la frontière entre les sciences biomédicales et la biologie marine», et il n’est pas impossible que le savoir circule un jour dans les deux directions.

Lorsqu’ils procèdent à une biopsie liquide de l’hémolymphe de la moule, a-t-elle dit, les chercheurs n’étudient pas seulement l’ADN de l’hôte, mais aussi l’ADN de ce qu’on appelle le «non-soi», à savoir du matériel génétique qui provient de l’extérieur.

«L’ADN qui n’appartient pas à l’humain représente à peu près 1 % de notre sang, a dit Mme Ferchiou. Donc il y a 1 % de l’ADN dans votre sang qui n’est pas votre ADN à vous, mais plutôt de l’ADN qui appartient à des bactéries, virus et dans certains cas de parasites. Donc peut-être que justement, en développant l’aspect du non-soi chez la moule, peut-être qu’on pourrait revenir chez l’humain pour améliorer cet aspect-là.»

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