MONTRÉAL — La soldate Martine Roy n’avait que 20 ans en 1984 lorsqu’elle a été arrêtée, interrogée puis expulsée des Forces armées canadiennes pour ce qu’on appelait alors une «déviance sexuelle».
Après avoir lutté pour le droit d’être reconnue comme une «ancienne combattante», elle a déposé lundi une couronne lors de la cérémonie du jour du Souvenir au cénotaphe de l’Armistice à la place du Canada, à Montréal, au nom des victimes de la vague de persécution au sein des Forces connue sous le nom de la «purge LGBT».
«J’ai été arrêtée deux fois, puis envoyée chez un psychiatre, puis finalement renvoyée de l’armée», a-t-elle raconté Mme Roy lundi à propos de son expérience. «Ça a été vraiment, vraiment difficile pour moi.»
Mme Roy était l’une des plaignantes dans une action collective qui a mené à un règlement à l’amiable de 145 millions $ et à des excuses fédérales, en 2017, pour des décennies de discrimination envers les membres des communautés lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres.
Selon le site internet du Fonds Purge LGBT, entre les années 1950 et le milieu des années 1990, des personnes des communautés LGBTQ+ au sein des Forces armées, de la Gendarmerie royale du Canada et de la fonction publique fédérale «ont été surveillées, interrogées, maltraitées et traumatisées par leur propre gouvernement (…) conformément à la politique du moment et à une pratique sanctionnée».
Originaire de Montréal, Martine Roy s’était enrôlée en 1983 pour devenir assistante médicale. Après un séjour au Québec, elle a été envoyée à Borden, en Ontario, où elle a été arrêtée une première fois après que quelqu’un a découvert qu’elle fréquentait des femmes et des hommes.
Bien qu’elle ait été autorisée à terminer son cours et à déménager au Centre médical de la Défense nationale d’Ottawa, aujourd’hui fermé, elle a été arrêtée une deuxième fois, puis renvoyée des Forces en décembre 1984.
Des années de honte
Elle a déclaré que son retrait des Forces armées à un si jeune âge avait affecté tous les aspects de sa vie et qu’elle a lutté pendant des années contre la honte, la consommation de drogue et la peur d’être soumise à une nouvelle discrimination en milieu de travail.
«J’avais 20 ans et je ne savais pas si j’étais gaie ou non — je ne pense pas que c’était important à ce moment-là, a-t-elle témoigné lundi. Alors, après avoir été mise à la porte comme ça, je ne voulais en parler à personne. J’avais honte.»
Elle a déclaré que le traumatisme était si profond qu’elle n’est retournée à Ottawa qu’en 2014. Pendant des années, elle et d’autres n’ont pas été reconnues du tout comme des «vétérans».
Au fil du temps, Mme Roy a continué à mener une carrière stable et est devenue une militante pour les droits des LGBTQ+ et d’une meilleure inclusion en milieu de travail. Elle a commencé à penser que la décision du gouvernement fédéral d’annuler sa politique officielle de discrimination en 1992 n’était pas suffisante.
C’est à ce moment-là qu’elle s’est impliquée dans l’action collective et, plus tard, en tant que membre du conseil d’administration du Fonds Purge LGBT. En 2023, elle a été nommée membre de l’Ordre du Canada pour ses décennies de défense de la diversité, de l’inclusion et de l’équité.
Lundi, sous un ciel pluvieux, Martine Roy s’est jointe au premier ministre François Legault et à d’autres dignitaires réunis place du Canada, au centre-ville, pour la cérémonie du jour du Souvenir. Elle a déposé une couronne au nom des vétérans LGBTQ+ aux côtés de Peggy Hayes, une autre survivante de la purge.
Mme Roy affirme que le fait d’assister maintenant aux cérémonies du jour du Souvenir lui permet de se sentir comme une ancienne combattante à part entière, fière de faire partie de l’armée et de commémorer d’autres personnes qui ont vécu des expériences similaires, mais qui ne sont plus en vie.
Déposer des couronnes est significatif, a-t-elle dit, «parce que nous sommes importants, et les personnes homosexuelles qui se sont battues pour le Canada sont importantes».
Elle a déclaré que, pour de nombreux survivants de la purge, les souvenirs du service sont «en quelque sorte mélangés» entre la fierté d’avoir servi leur pays et le fait de savoir qu’ils ont été expulsés pour quelque chose qui n’avait rien à voir avec leurs compétences.
«On a fait ça à plus de 9000 personnes. On a détruit leur famille et leur vie, c’est pourquoi ce jour est si important.»
Mme Roy souligne qu’une partie des fonds provenant du règlement judiciaire sont utilisés pour des initiatives qui rendent hommage à la contribution des anciens combattants LGBTQ+ du Canada, notamment l’édification éventuelle à Ottawa d’un monument dédié aux survivants de la purge.
L’organisme collige et conserve aussi des documents sur la purge, travaille sur une exposition au Musée canadien pour les droits de la personne à Winnipeg et formule des recommandations sur la façon d’améliorer l’inclusion des LGBTQ+ dans la fonction publique.