MONTREAL — Le ministre des Services sociaux, Lionel Carmant, a mis sous tutelle la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.
Cette décision fait suite au reportage choc de «La Presse» publié mercredi matin et faisant état de plusieurs manquements graves de la part de la DPJ de cette région. On rapporte notamment que les droits de dizaines d’enfants ont été brimés. Le quotidien cite un document produit par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ) selon lequel des enfants ont été placés dans une banque mixte en vue d’être adoptés sans toutefois respecter tous les critères pour se retrouver dans cette situation.
Pour le ministre cette situation est «intolérable».
Il a indiqué par ailleurs que la DPJ resterait sous tutelle «le temps que ça prendra». M. Carmant a fait savoir qu’il attendait le rapport d’une enquête de la CDPDJ sur les enjeux en Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.
«Ce qui me heurte le plus, c’est que c’est contre les directives qu’on a mises sur pied. Ça fait six ans que je suis ici et ça fait six ans que je dis qu’il faut faire plus de prévention. Il faut accompagner les parents. Il ne faut pas enlever les parents des enfants et là je lis ça ce matin, je suis déboussolé», a-t-il affirmé en mêlée de presse mercredi matin à l’Assemblée nationale.
La réparation des dommages qui ont été causés sera difficile, soutient Jade Bourdages, professeure à l’École de travail social de l’UQAM. Elle souligne que le coup sera dur notamment pour les enfants qui seront une fois de plus déracinés de leur milieu familial.
«On parle évidemment des dommages sur les familles biologiques et les enfants et il y a aussi les dommages sur les familles qui ont accueilli ces enfants en toute bonne foi en pensant que les critères avaient été respectés», ajoute-t-elle.
Mme Bourdages pense qu’on pourrait voir des poursuites en justice. «Il y a des allégations qui sont faites dans ce rapport d’informations faussées, manipulées. C’est grave ce qui est révélé au public ce matin», a-t-elle déclaré.
M. Carmant ne semble pas craindre que ce genre de situation soit répandu ailleurs au Québec, affirmant que le problème est local. «C’est le seul endroit où on a entendu parler de telles pratiques», a-t-il mentionné.
Mme Bourdages ne croit pas que le problème soit circonscrit dans cette seule région.
«C’est juste qu’on n’en a pas eu vent encore ou qu’il n’y a pas des enquêtes qui se sont penchées sur les autres cas de DPJ.
«On reçoit des témoignages, que ce soit comme chercheur, des avocats qui travaillent à la Chambre de la jeunesse, des familles aussi qui ont adopté en banque mixte. Les témoignages d’expériences qui ont été vécues au contact de cette institution. Tout nous indique que ce n’est pas localisé», a fait valoir l’experte.
Une décision qui arrive trop tard
Les oppositions ont vivement réagi à la nouvelle en matinée et plusieurs députés ont fait valoir que le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) devait avoir un plan pour régler la situation.
Dans un communiqué, la porte-parole de l’opposition officielle en matière de protection de la jeunesse, Brigitte B. Garceau, a rappelé qu’elle avait demandé en juin 2023 la mise sous tutelle de la DPJ de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. Il s’agit d’une décision «qui arrive bien trop tard», a-t-elle critiqué.
Elle estime que le ministre Carmant a minimisé l’urgence de la situation à l’époque «malgré les signaux d’alarme clairs».
«Il a fallu attendre des mois, et la publication d’un document choc de la CDPDJ pour que le gouvernement daigne enfin agir. Ces révélations montrent que des enfants ont été placés en banque mixte en vue d’adoption sans que les critères appropriés soient respectés, et que des informations fausses ou manipulées ont été déposées devant les tribunaux. C’est un affront aux droits fondamentaux des enfants et des parents», dénonce-t-elle.
Mme Garceau demande des «réformes profondes» pour éviter que de tels abus ne se reproduisent.
La députée solidaire Ruba Ghaza a demandé comment on pouvait régler le problème à long terme? Selon elle, il faut savoir s’il s’agit d’un problème de procédure ou de main-d’œuvre. «Il va falloir que le gouvernement ait un plan pour que ce genre d’histoire qui mine la confiance du public envers la DPJ arrête», a-t-elle déclaré.
Le libéral Monsef Derraji a aussi souligné que les enjeux sont multiples, notamment le roulement de personnel et la mauvaise planification. «C’est déplorable qu’avec tout ce qu’on a fait au niveau de la DPJ, d’assister encore une fois à des situations pareilles», a-t-il dénoncé.
Le député Pascal Paradis, du Parti québécois, a abondé dans le même sens que ses collègues des oppositions en soulevant les enjeux de rétention du personnel au sein de la DPJ et les lacunes dans la formation. «On apprend que des gens n’avaient peut-être pas la formation et pas tous les paramètres pour prendre la bonne décision», a-t-il exposé.
Pas d’imputabilité
Mme Bourdages se réjouit que les instances gouvernementales commencent à se demander s’il ne s’agirait pas d’un problème de structure. «On va devoir rouvrir les livres d’enquêtes parce qu’il y a eu de nombreuses enquêtes sur les pratiques de la DPJ et le problème de structure me semble toujours latent», dit-elle.
L’experte déplore qu’on omette l’enjeu de la structure, pensant qu’il s’agit seulement d’un problème de personnel. «Tous les rapports nous indiquent que c’est beaucoup plus profond que cela depuis très longtemps», souligne-t-elle.
Mme Bourdages propose qu’une organisation indépendante du gouvernement soit chargée de surveiller, de mettre en place des mécanismes de contrôle et d’imputabilité qui sont pour le moment absents de cette institution publique.
— Avec des informations de Thomas Laberge
—
Le contenu en santé de La Presse Canadienne obtient du financement grâce à un partenariat avec l’Association médicale canadienne. La Presse Canadienne est l’unique responsable des choix éditoriaux.