Faire venir des chefs-d’œuvre de l’étranger vient avec la charge de les protéger

Caroline Chatelard, La Presse Canadienne
Faire venir des chefs-d’œuvre de l’étranger vient avec la charge de les protéger

MONTRÉAL — Le Musée des beaux-arts du Québec a fait traverser l’Atlantique à des trésors de l’art visuel pour pouvoir présenter l’exposition Rembrandt cet été. Pas moins de 80 gravures datées d’entre 1625 et 1665 sont actuellement présentées dans le Nouveau-Monde grâce à un prêt du musée Boijmans Van Beuningen de Rotterdam, aux Pays-Bas.

Le musée européen ferme ses portes le temps de travaux et a choisi d’envoyer certaines de ses pièces à d’autres institutions pour qu’elles restent exposées pendant ce temps. Et si les œuvres font l’objet d’une grande attention entre les murs du musée, leur transport est ce qui les rend les plus vulnérables.

Le premier danger qui vient à l’esprit du grand public, bercé par maints récits sur grand écran, est celui d’un cambriolage sophistiqué. Mais ce ne sont pas les voleurs qui sont les plus à craindre pour les œuvres d’art inestimables. D’ailleurs le dernier vol au MNBAQ remonte à une cinquantaine d’années. Le pire ennemi du chef-d’œuvre, c’est plutôt le monde qui l’entoure.

«Le plus grand risque pour les œuvres d’art, ce sont les chocs physiques ou les chocs thermiques», explique André Gilbert, le commissaire d’expositions au Musée des beaux-arts du Québec (MNBAQ). Ce ne sont donc pas tant des systèmes de sécurité élaborés qui ont accaparé le MNBAQ dans sa préparation pour recevoir les oeuvres, mais les dispositifs d’exposition pour présenter ces oeuvres dans des conditions de préservation optimales.

La condition numéro un revient un peu à jouer avec le bouton du thermostat. Il faut que la température et le taux d’humidité soient adaptés à la sensibilité du matériau et de la technique utilisée par l’artiste, à savoir une température de 20 degrés Celsius «avec plus ou moins 2 degrés» de marge, indique le conservateur, «et 50 % d’humidité relative avec cette fois une marge d’erreur de 5 % environ». Ces conditions, très précises, constituent la norme standard pour les musées, car elles sont acceptables pour la conservation aussi bien de peintures que de sculptures ou d’œuvres sur papier, ajoute-t-il.

L’enjeu le plus capital est d’éviter tout changement brusque. Car si les oeuvres peuvent supporter un changement graduel, comme celui dû aux saisons, un bris d’équipement, qui ferait, en plein été, grimper le mercure et le taux d’humidité en l’espace de quelques heures pourrait les endommager.

La lumière, ennemi juré

Et comme si cela ne suffisait pas, la lumière est elle aussi un ennemi féroce des oeuvres. «Une chose qu’on remarque quand on entre dans des cabinets d’oeuvres sur papier, c’est vraiment la quantité de lumière, fait remarquer M. Gilbert. Les oeuvres sur papier ancien doivent se conserver avec une lumière très faible si on veut les garder encore longtemps. Ces oeuvres-là ont près de 400 ans, on veut les garder encore plusieurs centaines d’années, donc on ne peut pas les présenter sous une lumière forte et ça c’est essentiel. Donc nous, on est capable de mesurer la lumière.»

Pire encore, la lumière est si dangereuse que certaines oeuvres anciennes sur papier, selon des normes internationales, ne devraient être exposées que trois mois à une force de 50 lux (soit une lumière tamisée) avant d’être remises en réserve, à l’obscurité, pour cinq ans, sans quoi le papier risque de se dégrader et l’encre de pâlir.

Les œuvres de Rembrandt présentées au MNBAQ sont, pour la plupart, réalisées avec la technique de l’eau-forte. Il s’agit d’une méthode de gravure remontant au Moyen Âge où l’image est creusée sur une plaque de cuivre à l’aide d’un acide. Une fois le motif fini, la plaque est enduite d’encre et le dessin peut être enfin imprimé sur papier pour un maximum de quelques centaines de tirages. Au-delà, la plaque s’est trop dégradée pour que le motif rende encore des impressions de qualité.

Les gravures de l’exposition temporaire n’échappent donc pas aux risques auxquels sont soumises toutes les oeuvres sur papier. Il leur faut donc une lumière adaptée, sans quoi les créations du maître hollandais ne traverseront pas les siècles pour que les générations futures puissent elles aussi les admirer.

Ceux qui se demandaient pourquoi l’éclairage dans les musées est si souvent faible ont maintenant la réponse. À ce sujet, André Gilbert rappelle que les musées du Québec ne sont pas juste de «beaux bâtiments». Ce sont des bâtiments qui ont été conçus pour maintenir des conditions optimales pour la préservation des œuvres.

Le point sensible du transport

Dans le cas de l’exposition du MNBAQ sur les gravures de Rembrandt, le problème du transport s’ajoute. Ces gravures sont arrivées à Québec tout juste une dizaine de jours avant le début de l’exposition. Avant ça, il a fallu faire venir les oeuvres de Rotterdam, ce qui a nécessité la fabrication de caisses sur mesure. «Ces oeuvres-là ne circulent pas dans des boîtes ordinaires, souligne M. Gilbert. Elles circulent dans des caisses qui sont conçues pour les oeuvres d’art et qui sont conçues à l’épreuve des chocs. Elles sont conçues aussi de façon à essayer de maintenir les conditions de température et d’humidité (nécessaires à la préservation des pièces).»

L’hiver canadien constitue bien évidemment un enjeu au moment de manipuler les caisses en extérieur. Heureusement pour l’artiste hollandais, le problème ne s’est pas posé cette fois-ci.

Et pour ce qui est des voleurs d’oeuvres d’art, M. Gilbert rappelle que les chefs-d’oeuvre ne voyagent jamais seuls. Ils sont convoyés par des firmes spécialisées qui savent manipuler les caisses en toute sécurité et les gardent loin des mains convoiteuses. Le tout est bien entendu ceinturé par des assurances à la hauteur des trésors prêtés. Les montants, cependant, resteront confidentiels et le conservateur se refuse à souffler le moindre indice.

L’exposition se poursuit jusqu’au 2 septembre. Une fois terminée, les 300 gravures de Rembrandt retourneront en seulement quelques jours dans leurs caisses sur mesure, avant de revenir au musée Boijmans Van Beuningen, car, comme le rappelle André Gilbert, «là où elles sont le mieux, c’est dans les réserves de leur musée d’origine».

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