Géhane Kamel recommande un tribunal pour les affaires impliquant la maladie mentale

Sidhartha Banerjee, La Presse Canadienne
Géhane Kamel recommande un tribunal pour les affaires impliquant la maladie mentale

MONTRÉAL — La coroner Géhane Kamel recommande au gouvernement du Québec de créer un tribunal qui traiterait spécifiquement des affaires impliquant la maladie mentale. 

Dans son rapport final sur la mort violente de trois personnes abattues au hasard dans la région de Montréal par un malade mental en 2022, la coroner Kamel recommande notamment de transformer la Commission d’examen des troubles mentaux en un «tribunal administratif spécialisé en santé mentale», comme c’est le cas en Ontario. 

Ce processus judiciaire permettrait d’impliquer tous les acteurs dans un dossier: les policiers, les professionnels de la santé et les procureurs.

Le rapport de Mme Kamel, publié jeudi, fait suite à une enquête du coroner menée l’année dernière sur les meurtres d’André Lemieux, Mohamed Belhaj et Alex Lévis Crevier, en août 2022, ainsi que la mort d’Abdulla Shaikh, le tueur de 26 ans abattu lors d’un échange de coups de feu avec les policiers dans un motel de Montréal.

«Un tribunal administratif spécialisé en santé mentale, comme en Ontario (…) aurait notamment comme bénéfice de s’assurer de l’homogénéité des décisions et d’une expérience dédiée des décideurs», écrit la coroner dans son rapport de 58 pages.

Actuellement, au Québec, la Commission d’examen des troubles mentaux détermine le risque des personnes déclarées non criminellement responsables. Mais d’autres affaires doivent passer par les tribunaux, ce qui signifie que les procureurs, la police et les experts en santé mentale travaillent souvent en silos.

Le nouvel organisme contribuerait à garantir le respect des conditions des prévenus et aiderait la police à comprendre quand appliquer certaines mesures, comme une loi provinciale qui permet aux personnes dont l’état mental présente un danger d’être arrêtées et hospitalisées. 

L’enquête de la coroner Kamel a révélé que malgré les appels fréquents des membres de la famille, qui faisaient part de leurs inquiétudes, l’application de cette mesure n’est pas aisée.

Abdulla Shaikh, qui avait des antécédents de problèmes de santé mentale, n’avait pas de casier judiciaire malgré quelques démêlés avec la justice. Il a reçu un diagnostic de schizophrénie vers 2018 et a subi deux longs séjours à l’hôpital. Sa famille a déclaré qu’il ne prenait pas ses médicaments comme prescrit et qu’il devait en recevoir d’autres quelques jours après son décès.

La Commission d’examen des troubles mentaux a statué en mars 2022 que Shaikh, qui était suivi par un hôpital psychiatrique, représentait un risque important pour la sécurité publique mais pouvait continuer à vivre dans la communauté.

Une décision de la Commission citait son psychiatre affirmant que Shaikh souffrait de «déni et de banalisation de ses gestes menaçants durant les hospitalisations antérieures», mais qu’il avait montré des améliorations au cours des six mois précédents.

Plusieurs «drapeaux rouges»

Le rapport final de la coroner Kamel comprend plus d’une vingtaine de recommandations destinées à diverses organisations, notamment la police, les procureurs de la Couronne, les Centres intégrés de santé et de services sociaux et les ministères provinciaux de la Santé et de la Justice.

La coroner Kamel conclut qu’il y a eu plusieurs «drapeaux rouges» dans le cas d’Abdulla Shaikh. Elle cite notamment les «les délais interminables en matière d’accusations criminelles» et le manque de coopération de Shaikh avec les professionnels de la santé mentale de première ligne —l’équipe du «Suivi intensif dans le milieu». 

Elle évoque aussi le manque de suivi après la fermeture de son dossier, si ce n’est une visite aux trois mois chez un psychiatre et une surveillance de sa prise de médicaments.

La coroner déplore une pénurie au Québec de ressources en santé mentale en général — et plus particulièrement en matière de surveillance des personnes qui relèvent de la Commission d’examen des troubles mentaux et qui refusent de recevoir de l’aide, ou hésitent à l’accepter. 

«Le manque de ressources est un problème réel, mais les structures de suivis pour les personnes qui sont réfractaires le sont également», écrit-elle dans son rapport.

Abdulla Shaikh avait en sa possession deux «armes à feu fantômes» – des armes artisanales. «M. Shaikh semble avoir prémédité de longue date ces gestes avec un objectif précis dont seul lui aurait pu nous donner des réponses», écrit la coroner Kamel.

Elle souligne que son comportement n’était pas typique d’une personne en psychose. «On est plus dans l’ordre de quelqu’un qui a un trouble de personnalité qui a planifié scrupuleusement ces actions, conclut-elle. De l’avis des psychiatres et de notre expert, les troubles de personnalité sont plus difficiles à diagnostiquer et la prise en charge est également ardue.»

L’enquête de la coroner a révélé qu’en l’espace d’une heure, le 2 août 2022, Shaikh a abattu MM. Lemieux et Belhaj, qui étaient tous deux sur la voie publique, dans les arrondissements de Saint-Laurent et d’Ahuntsic-Cartierville, à Montréal.

Il s’est ensuite rendu en Ontario pour visiter le zoo de Toronto et le parc «Canada’s Wonderland» avant de revenir au Québec et d’assassiner le 3 août Lévis Crevier, qui faisait de la planche à roulettes dans une rue de Laval. Les trois victimes ont été atteintes de plusieurs projectiles d’arme à feu.

Shaikh a été abattu par les policiers le matin du 4 août dans un motel de Montréal. 

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