La coroner publie son rapport sur un familicide commis à Montréal en 2019

Morgan Lowrie, La Presse Canadienne
La coroner publie son rapport sur un familicide commis à Montréal en 2019

MONTRÉAL — Une coroner demande au gouvernement du Québec d’améliorer les services aux victimes de violence conjugale, dans son rapport sur une affaire de meurtre impliquant un homme qui avait étranglé sa femme et ses deux fils en décembre 2019 à Montréal.

La coroner Andrée Kronström conclut dans son rapport que la relation entre Dahia Khellaf et Nabil Yssaad avait été marquée par une escalade de violence dès leur «mariage arrangé» en 2012.

«En entrant dans l’intimité du couple, j’ai compris que, dès le mariage, la violence s’est installée et s’est accrue», écrit Mme Kronström.

La coroner s’est penchée sur les meurtres de Mme Khellaf, âgée de 42 ans, et de ses deux fils, Adam, 4 ans, et Aksil, 2 ans, chez eux dans le quartier de Pointe-aux-Trembles, le 9 décembre 2019.

Elle a aussi examiné le suicide, le lendemain, de Nabil Yssaad, qui avait étranglé sa famille avant de se rendre à l’hôpital de Joliette, où il s’est jeté par une fenêtre du sixième étage.

Le couple s’était séparé et Mme Khellaf était en instance de divorce. Cinq jours avant les meurtres, les procureurs avaient abandonné quatre accusations contre M. Yssaad – notamment pour agression et menace contre sa femme –, lorsqu’il a accepté de signer un engagement de ne pas troubler l’ordre public. M. Yssaad s’engageait notamment à ne plus contacter Mme Khellaf ou se trouver à moins de 100 mètres de chez elle.

La coroner Kronström affirme que des éléments de l’histoire familiale peuvent trouver écho dans les rapports d’experts en violence domestique qui ont témoigné lors des audiences l’automne dernier.

Son rapport révèle que M. Yssaad a commencé à insulter et à humilier sa femme peu après son arrivée au Canada en provenance d’Algérie en 2014. Le couple a eu deux enfants, nés en 2015 et 2017.

Mme Khellaf a d’abord sollicité l’aide d’un professionnel du programme d’aide aux employés pour ses problèmes conjugaux en 2016, puis de nouveau en 2018, après un accroissement de la violence physique. Par exemple, lors d’un incident, M. Yssaad plaque le visage de sa femme au sol en mentionnant qu’il va la tuer.

Libération sous conditions

Mme Khellaf dépose en 2018 une plainte à la police faisant état de deux allégations distinctes d’agression et de menaces. Elle précise aux procureurs dès le début que son objectif principal est que son conjoint soit évalué en psychiatrie puisqu’elle soupçonne qu’il souffre de schizophrénie.

M. Yssaad subit effectivement une évaluation psychologique, qui ne révèle «aucune maladie mentale active, aucun danger suicidaire» ni «violence extrême», lit-on dans le rapport de la coroner. Il est alors libéré à condition notamment de ne pas se trouver en présence de Mme Khellaf.

Un procureur en chef adjoint a déclaré lors des audiences qu’un engagement de ne pas troubler l’ordre public avait été utilisé en décembre 2019 parce que Mme Khellaf avait refusé de témoigner, laissant la Couronne sans son témoin clé.

La coroner affirme que malgré les nombreuses améliorations apportées aux services disponibles depuis 2019, on devrait offrir davantage de soutien, de coordination et de sensibilisation sur la violence domestique, notamment en ce qui concerne les meurtres suivis de suicide au sein d’une même famille.

La coroner recommande notamment au ministère de la Justice de parachever l’implantation, prévue pour 2026, d’un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale à Montréal.

Elle recommande aussi de «prendre les actions requises» pour faire connaître le service d’évaluation des conjoints violents à l’étape de la mise en liberté provisoire, et d’accroître l’éducation des nouveaux immigrants et des jeunes sur la violence domestique et le contrôle coercitif.

La coroner a conclu que Mme Khellaf n’avait pas été informée en matière de violence domestique et de contrôle coercitif, et que le risque de violence de son mari n’avait pas été correctement évalué. Citant un comité d’experts qui a produit un rapport en 2019 sur les facteurs conduisant à la violence domestique, elle souligne qu’il peut être difficile pour des victimes comme Mme Khellaf de rompre les liens avec leur agresseur, surtout lorsque des enfants sont impliqués.

Elle a également suggéré que les auteurs de ces crimes conjugaux devaient bénéficier de plus de ressources en amont, notamment des places d’hébergement.

«Même si les victimes sont au cœur des préoccupations, le comité ne veut pas ignorer les auteurs de violence. Afin d’endiguer de manière durable la violence conjugale, il faut développer une offre de services de qualité pour les individus agresseurs de manière préventive», écrit la coroner.

Une experte citée dans le rapport du coroner a déclaré que les homicides intrafamiliaux sont particulièrement difficiles à prévenir, car les victimes ont souvent honte de parler des agressions qu’elles subissent. La psychologue Suzanne Léveillée a souligné que M. Yssaad montrait des signes de personnalité narcissique, l’un des signes avant-coureurs dans les homicides familiaux.

Elle a estimé que tuer son ex-épouse et ses enfants était sa façon d’exercer un «contrôle ultime» sur sa famille, selon le rapport.

«En plaçant la famille dans le même lit après les meurtres, il voulait dire que celle-ci serait réunie pour toujours et que c’était son ultime décision et prise de contrôle», cite la coroner. «Il ne fait aucun doute, selon l’experte, qu’il avait planifié son geste.»

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