Lac-Mégantic: le jugement de non-responsabilité du Canadien Pacifique est en appel

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
Lac-Mégantic: le jugement de non-responsabilité du Canadien Pacifique est en appel

MONTRÉAL — La Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) a-t-elle une part de responsabilité légale dans la catastrophe ferroviaire qui a fait 47 morts à Lac-Mégantic, le 6 juillet 2013?

C’est la question à laquelle devra répondre, pour une deuxième fois, la Cour d’appel à la suite de l’exonération du CP par le juge Martin Bureau, de la Cour supérieure, le 14 décembre 2022.

Le juge Bureau avait tranché que le comportement du CP, qu’il soit fautif ou pas, n’était pas «la cause directe, immédiate et logique» des dommages subis par les victimes. Cette responsabilité reposait plutôt, selon le magistrat, entre les mains du conducteur du train, Thomas Harding, et son employeur, la Montreal, Maine and Atlantic (MMA).

Trois poursuites

Le tribunal tranchait ainsi sur trois poursuites regroupées, soit une de la part d’un regroupement de citoyens et entreprises victimes de la tragédie, une déposée par le gouvernement du Québec et une autre par les compagnies d’assurances qui avaient dû indemniser les victimes.

Le Canadien Pacifique était la seule entité sur 24 entreprises impliquées qui avait refusé de participer volontairement à un fonds d’indemnisation qui atteint maintenant quelque 460 millions $.

Les trois demandeurs ont porté la décision du juge Bureau en appel et un banc de trois juges de la Cour d’appel a commencé à entendre les appelants lundi.

Obligation de renseignement

Du côté du Procureur général du Québec, on a fait valoir que le CP, qui était l’expéditeur du pétrole du Dakota du Nord jusqu’au Nouveau-Brunswick, a omis d’aviser la MMA que le pétrole qu’elle transportait sur le dernier bout de rail était mal étiqueté et n’était pas du brut inerte et ininflammable, mais bien un produit hautement volatile et explosif. Le juge a fait une erreur de droit en ne reconnaissant pas que le CP avait une obligation de renseignement et, donc, que sa responsabilité était bel et bien engagée, a fait valoir Me Rosaire Arcand.

«Tout le litige est là, actuellement, à savoir qu’aurait fait la MMA si elle avait été prévenue que le produit était plus dangereux que ce qui était annoncé sur les bordereaux de transfert», s’est interrogé Robert Bellefleur, porte-parole d’une coalition de citoyens et entreprises de Lac-Mégantic, à la sortie de l’audience.

«Ils n’auraient peut-être pas envoyé un seul homme sur le train – parce que normalement, on a deux hommes sur le train. Il n’aurait peut-être pas nécessairement stationné le train dans une pente, le moteur en marche, sur le bord d’une route sans surveillance.»

«Une culture ferroviaire dangereuse et archaïque»

À son tour à la barre, l’avocat des requérants de l’action collective, Me Joel Rochon, a élargi le spectre de la décision à venir des juges bien au-delà de Lac-Mégantic. «Si l’on permet à ce jugement d’être maintenu, il aura pour effet de perpétuer une culture ferroviaire dangereuse et archaïque, une culture qui place le profit au-dessus de la sécurité», a-t-il plaidé.

Le Canadien Pacifique, qui avait été propriétaire de cette ligne de chemin de fer durant plus d’un siècle avant de la vendre à la MMA, en connaissait toutes les courbes, toutes les pentes et tous les dangers, a-t-il fait valoir. Son évaluation du risque était fautive, surtout sachant que son sous-traitant avait un dossier assez lourd en termes de manquements à la sécurité. De toute façon, «stationner un train en haut d’une colline est toujours dangereux, quelle que soit sa cargaison», a martelé Me Rochon.

Le géant du rail, a-t-il dit aux trois magistrats, savait que la MMA laissait le train à Nantes en haut de la pente surplombant Lac-Mégantic sans surveillance. «CP aurait dû prendre les mesures nécessaires pour dire à la MMA: ‘Vous ne pouvez pas laisser un train plein de pétrole sans surveillance à cet endroit’».

Tolérance

Mais cette tragédie, a-t-il précisé, résulte du fait que Transports Canada a longtemps toléré ce genre de pratiques extrêmement dangereuses. Le juge Bureau, a-t-il dénoncé, a erré en concluant que CP n’avait pas agi de manière irresponsable. «Il a préféré se ranger du côté des pratiques et normes de l’industrie plutôt que de favoriser les obligations d’une personne raisonnable», telles que définies par le Code civil.

Les compagnies d’assurances et le Canadien Pacifique lui-même viendront ensuite plaider à leur tour devant la Cour d’appel cette semaine. Six avocats assurent la défense du CP.

L’enjeu n’est pas anodin. Les sommes réclamées par Québec, les compagnies d’assurances et les victimes dépassent largement les 460 millions $ amassés par le fonds. Si le Canadien Pacifique était reconnu partiellement responsable, il devrait casquer à coups de millions.

Mais quelle que soit la décision du tribunal, il serait étonnant qu’elle ne soit pas elle-même portée en appel devant la Cour suprême, étant donné l’enjeu des deux côtés.

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