L’AQPP dépose une action collective contre certains membres «anticoncurrentiels»

Katrine Desautels, La Presse Canadienne
L’AQPP dépose une action collective contre certains membres «anticoncurrentiels»

MONTRÉAL — L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) dénonce une concentration de la distribution des médicaments de spécialité entre les mains de quelques-uns de ses membres, ce qui menace selon elle la pérennité du réseau des pharmacies au Québec. Elle se tourne vers la justice pour obtenir une compensation financière et changer le modèle.

L’AQPP a déposé mardi une demande d’autorisation à la Cour supérieure pour intenter une action collective contre dix de ses membres pharmaciens propriétaires de six pharmacies, contre trois gestionnaires de programmes de soutien aux patients, ainsi que trois réseaux de cliniques de perfusion.

Avec cette démarche juridique, l’association espère obtenir une compensation pour des dommages financiers, mais le montant réclamé reste à déterminer, a fait savoir en entrevue Benoit Morin, président de l’AQPP.

Il donne toutefois un ordre de grandeur en soulignant que parmi les quelque 1900 pharmacies communautaires sur le territoire québécois, six d’entre elles se partagent des revenus estimés à 1,5 milliard $ annuellement pour les médicaments de spécialité. Autrement dit, c’est 40 % de la distribution de médicaments de spécialité qui est concentrée dans 0,5 % des pharmacies au Québec.

L’AQPP souhaite aussi un changement dans la façon de faire sur le terrain et «qu’on démocratise le service de ces médicaments dans l’ensemble des pharmacies du Québec».

Les médicaments de spécialité sont souvent prescrits par un médecin spécialiste en deuxième ou troisième ligne de traitement pour certaines maladies chroniques, des maladies rares et pour le cancer, entre autres, a expliqué M. Morin.

L’enjeu de l’AQPP est que les programmes de soutien aux patients dirigent ces derniers vers une pharmacie désignée, qui n’est pas leur pharmacie habituelle. Cette pratique est contraire aux lois et règlements entourant la pratique de la pharmacie. Le droit de choisir son professionnel de la santé est inscrit dans la Loi sur l’assurance maladie et le Code de déontologie des pharmaciens.

Les programmes de soutien aux patients sont mis en place par les fabricants de médicaments de spécialité afin d’assurer un accès à leur produit et un suivi plus étroit de la thérapie médicamenteuse par un professionnel de la santé.

«L’enjeu qu’on a, c’est que ces programmes de soutien aux patients font affaire avec des pharmacies partenaires, qui ne sont pas la pharmacie du patient. Et là, on le dirige de différentes façons (…) en disant qu’elles sont plus compétentes, qu’il va avoir accès plus facilement à des doses de compensation, que ça va être plus simple, qu’elles connaissent mieux cela, que c’est plus sécuritaire. Et le patient, pour lui, il ne le sait pas qu’il a le choix d’aller dans sa pharmacie», explique M. Morin.

Il fait valoir que tous les pharmaciens du Québec sont outillés pour prendre en charge leur patient pour l’ensemble de leurs médicaments.

Des pharmacies en péril

Des pharmacies communautaires ont des bâtons dans les roues pour avoir accès aux médicaments de spécialité. M. Morin affirme que parfois elles ne peuvent pas commander le produit ou que ça nécessite trop d’argent parce que ces établissements ont un seul patient ayant besoin de médicaments de spécialité, les autres étant concentrés dans les pharmacies partenaires.

De plus, si un patient a besoin d’être traité dans un centre de perfusion privé, le centre n’acceptera pas nécessairement une livraison de la pharmacie du patient, mais acceptera celle de la pharmacie partenaire.

«Il y a un paquet d’embûches qui fait en sorte que le patient est soit insécure ou le pharmacien se décourage et il laisse cela aller», se désole M. Morin.

À sa connaissance, il n’y a pas de pharmacies communautaires qui ont dû fermer leurs portes en raison des pertes de revenus, «mais ça va arriver», s’inquiète-t-il.

«Si on s’en va dans cette tendance de concentrer les ordonnances dans les pharmacies de spécialité, et c’est le modèle qui prévaut, c’est sûr que ça va diminuer l’oxygène du réseau des pharmacies conventionnelles. Éventuellement, on va assister à une réduction des heures d’ouverture, des services et à la fermeture de pharmacies. C’est ça qui s’en vient», alerte M. Morin.

Cette pression est grandissante et ce n’est pas la seule sur les pharmaciens, ajoute-t-il.

La plupart des pharmaciens visés dans l’action collective ont déjà été sanctionnés par l’Ordre des pharmaciens, a indiqué M. Morin, et d’autres enquêtes seraient en cours. «On prend notre propre initiative pour pas que ce modèle d’affaires se cristallise et devienne une façon d’être acceptée par tout le monde parce que c’est un peu ça qui se passe en ce moment», dit-il.

Pour l’AQPP, ces pratiques qu’elle juge «anticoncurrentielles» ne sont pas viables à long terme pour l’ensemble du réseau des pharmacies communautaires qui dépendent de la distribution de médicaments pour développer leurs activités cliniques.

Le chiffre d’affaires annuel moyen d’une pharmacie au Québec est de 7 millions $ et celui de certaines pharmacies de spécialité peut atteindre plus de 310 millions $, évalue l’association.

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