OTTAWA — Une mairesse de la Côte-Nord entendue lundi par des élus fédéraux en comité estime qu’un décret pour protéger le caribou équivaudrait à un «drame» pour l’économie de sa communauté, pendant que le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador voit cette mesure comme étant nécessaire pour assurer la survie de hardes menacées.
«Comment peut-on imaginer que toute une population se lève un matin sans aucune idée à quoi pourrait ressembler son avenir? On parle d’un drame pour notre municipalité», a dit Lise Boulianne, mairesse de Sacré-Cœur, sur la Côte-Nord.
À son avis, le «développement» de sa communauté «passe et passera toujours par l’industrie forestière».
À ses côtés, le président de la compagnie forestière Boisaco, Steeve St-Gelais, a affirmé qu’avec le décret proposé par Ottawa, 600 emplois seraient perdus.
«Et ce sera la perte de plus de 200 millions de dollars de retombées annuelles au total pour notre milieu. Cela est inconcevable», a-t-il soutenu.
La population de caribous est en déclin au Québec depuis plusieurs années et l’exploitation forestière est la principale cause de cette précarité, en raison notamment des chemins forestiers qui détruisent l’habitat et favorisent le déplacement des prédateurs naturels du caribou comme l’ours et le loup.
«Il y a urgence d’agir pour le caribou, qui est une espèce parapluie essentielle à la santé de nos écosystèmes et de la biodiversité qui y habite», a dit Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador.
Il a souligné que son organisation appuie l’intention du fédéral d’imposer un décret à Québec afin de forcer la province à protéger les caribous dans trois zones de répartition: Val-d’Or, Charlevoix et Pipmuacan.
Le chef de la communauté innue Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, Gilbert Dominique, s’est aussi exprimé en faveur du décret fédéral devant les élus fédéraux.
«Nous croyons que des mesures fermes, sérieuses et immédiates doivent être prises dans l’attente de la mise en œuvre de la stratégie du Québec.»
Les deux chefs ont mentionné que la relation entre les peuples autochtones et le caribou est une question d’identité.
«S’il venait à disparaître, c’est une partie de l’identité des Pekuakamiulnuatsh qui disparaîtrait avec lui», a dit M. Dominique.
À Val-d’Or et Charlevoix, les caribous vivent en enclos à longueur d’année avec respectivement 9 et 30 individus et la harde de Pipmuacan compte moins de 300 bêtes.
En avril dernier, Québec a manifesté son intention d’investir 59,5 millions $ pour mettre en œuvre des projets de protection des caribous pour trois des 13 populations de caribous de la province.
Mais le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, s’attendait à ce que le gouvernement Legault dépose une stratégie de protection pour toutes les populations de caribou, comme convenu dans une entente de principe signée en août 2022 entre le fédéral et le provincial.
Selon l’entente, les mesures mises en place pourraient permettre «d’atteindre un pourcentage de 65 % d’habitat non perturbé» dans chacune des aires de répartition du caribou.
Malgré une succession d’annonces pour protéger l’espèce, Québec n’a pas présenté de stratégie qui permettrait d’atteindre cet objectif.
«Si nous nous retrouvons aujourd’hui dans cette situation précaire, c’est entièrement en raison de l’inaction du gouvernement du Québec dans ce dossier», croit M. Picard.
Une consultation sur le projet de décret d’Ottawa est en cours jusqu’au 15 septembre et doit mener à la version finale.
Le gouvernement de François Legault a décidé de ne pas participer à la consultation. Il estime que ses propres mesures de protection de l’espèce en déclin portent ses fruits.
La province évalue qu’avec le décret fédéral, il y aura «une perte d’un minimum de 2000 emplois, et ce, uniquement pour les zones provisoires projetées».
– Avec des informations de Stéphane Blais