MONTRÉAL — À bout de souffle, les organismes communautaires œuvrant dans le domaine du logement, mais aussi de l’itinérance et de la santé mentale, demandent à Québec de se réveiller, de mettre de côté la partisanerie et d’agir d’urgence pour s’attaquer à la crise du logement.
Se disant dépassés par l’aggravation de la situation et l’explosion de leur clientèle, ils exigent une augmentation immédiate de l’aide d’urgence pour les milliers de ménages qui se retrouveront à la rue à compter du 1er juillet. Ils réclament également du gouvernement Legault la création d’un comité transpartisan et interministériel pour plancher sur des solutions pérennes en amont de la crise.
«Ça prend quoi de plus au gouvernement pour poser des actions concrètes?», lance Roseline Hébert-Morin, du Comité logement du plateau-Mont-Royal, qui fait état d’une hausse de 124 % des demandes de service depuis cinq ans dans son organisme.
«C’est comme si on était face à un feu de forêt et qu’on avait des petites chaudières d’eau pour l’éteindre», renchérit à ses côtés Anne-Marie Boucher, du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec.
Crise dans toutes les régions
C’est donc un véritable cri du cœur qu’a lancé un front commun d’organismes, jeudi à Montréal, pour faire part du désarroi et de l’épuisement de leur personnel atteint de ce qu’ils qualifient de «fatigue d’indignation» devant l’explosion des clientèles en situation précaire, et ce, partout à travers la province, incluant dans les secteurs ruraux.
Edith Lambert, de l’Oasis de Lotbinière, confirme. «Dans la dernière année, nous-mêmes on a été surprises de voir à quel point il y avait des besoins dans notre milieu et à quel point il y avait des gens qui se retrouvaient en situation précaire», explique-t-elle en donnant l’exemple d’un homme expulsé des toilettes d’une station-service où il dormait ou d’une femme ayant perdu la garde de son bébé parce qu’incapable de lui fournir une habitation décente.
Les données de Cédric Dussault, du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec, ont de quoi faire frémir. De 2020 à 2024, les hausses de loyer ont atteint 27 % à Montréal, 33 % à Québec, 44 % à Sherbrooke, 50 % à Trois-Rivières, 49 % à Rimouski et 37 % à Saguenay comparativement à une Inflation de 17 % sur la même période.
«La situation s’est dégradée tellement rapidement que, dans les quatre ou cinq dernières années, on a vu apparaître des phénomènes qu’on ne voyait pas avant. Il y a de plus en plus de gens qui ont des jobs à temps plein et qui sont dans la rue, qui dorment dans leur voiture et c’est le cas partout au Québec», affirme M. Dussault.
Selon Statistique Canada, ce sont 3 % des ménages canadiens qui ont été évincés de leur logement au cours des 12 derniers mois, «ce qui permet d’estimer qu’environ 45 000 ménages québécois ont été délogés dans la dernière année», souligne-t-il.
Un peu d’empathie?
Les organismes communautaires, qui représentent le filet social communautaire sous le filet social public, accusent le gouvernement et tout le secteur public de fuir leurs responsabilités et de pelleter leur débordement dans leur cour alors que «ce n’est pas au communautaire de gérer l’aggravation des inégalités sociales», fait valoir Anne-Marie Boucher. «Si ce filet social-là s’effondre, il ne restera pas grand-chose pour maintenir de l’humanité dans nos sociétés», avertit-elle.
«On s’attend à ce qu’à un moment donné, (les élus) se rendent compte que, si leurs semblables se retrouvent à la rue à la tonne, peut-être que ça pourrait éveiller quelque chose comme de l’empathie», laisse tomber Roseline Hébert-Morin.
Solutions à court et long terme
Les groupes communautaires demandent donc à Québec, à court terme, de s’attaquer à l’explosion des coûts et d’aller de l’avant avec le contrôle des loyers qu’ils réclament depuis des années et de mettre un terme aux aux évictions abusives. «L’éviction est maintenant la principale cause d’itinérance au Québec», affirme Cédric Dussault, qui reproche aux trois paliers de gouvernement leur complaisance face à ces pratiques trop souvent frauduleuses.
Dénonçant le fait que le Québec se situe en queue de peloton en termes de logements hors marché au Canada, pays qui se situe lui-même en queue de peloton face aux pays avec des économies comparables, les organismes réitèrent qu’il est urgent, pour le long terme, de construire des logements sociaux à l’abri des soubresauts du marché.
Le logement «abordable» aggrave le problème
M. Dussault croit que les pouvoirs publics continuent de faire fausse route en privilégiant le logement abordable. «Il est indécent que tous les paliers de gouvernement aient complètement abandonné les ménages locataires à plus faible revenu en remplaçant presque complètement le financement du logement social par du logement dit abordable qui, parce qu’il est assujetti à un marché en surchauffe, est inabordable pour une grande partie de la population locataire.»
Céline Duclap, de l’organisme Pas de la rue, qui oeuvre auprès des 55 ans et plus en situation d’itinérance ou de précarité, fait valoir qu’une prestation d’aide sociale «ne permet plus de se loger aujourd’hui. Une simple chambre dans une maison de chambre, c’est 700 $. Avec 800 $ d’aide sociale, il n’y a plus rien pour vivre après.»
Sans surprise, dit-elle, «on voit nos chiffres augmenter et exploser depuis les derniers mois. C’est la première fois qu’on n’a pas de répit après les Fêtes. Les équipes s’épuisent et les organismes sont au bout de ce qu’il est possible de proposer. Certains organismes sont à l’agonie, en fait.»