MONTRÉAL — Le réseau de l’éducation du Québec fait son entrée dans le 21e siècle avec l’informatisation de ses données, qui pourront désormais être analysées avec l’aide de l’intelligence numérique.
Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, et son collègue Éric Caire, responsable de la Cybersécurité et du Numérique, ont annoncé lundi un investissement de 10,6 millions $ sur deux ans visant à numériser l’ensemble des données accumulées par les Centres de services scolaires (CSS).
Le ministre Roberge a raconté que, durant la pandémie, il était essentiel de connaître le nombre de cas positifs dans les classes, connaître la situation quant à l’absentéisme, savoir qui suivait le programme de tutorat, connaître le taux de diplomation et ainsi de suite, une tâche inutilement compliquée.
«Aucune (de ces) informations en éducation n’était facilement accessible et rapidement accessible. À chaque fois, c’était un parcours du combattant en éducation et on devait collecter manuellement, à coups de sondages, de questionnaires, de reddition de comptes, toutes ces informations. C’est une vieille façon de collecter les données qui nous a ralentis.
«Nos écoles, nos Centres de services scolaires, sont des mines d’or d’informations et de données. Il fallait être capable de forer au bon endroit et de l’extraire», a-t-il fait valoir.
Une approche éprouvée
Des initiatives en ce sens ont déjà été mises à l’épreuvedans certains CSSS et les résultats sont prometteurs. Ainsi, aux CSS Cœur-des-Vallées, en Outaouais, et Val-des-Cerfs, en Estrie, l’utilisation de l’intelligence numérique a permis de prévenir des échecs scolaires en dépistant, avec un taux supérieur à 90 %, les élèves les plus à risque de décrochage dès leur arrivée en secondaire 1. Le projet a également permis de regrouper des élèves ayant un profil similaire ou faisant face à des défis semblables pour leur offrir un soutien correspondant à leurs besoins particuliers.
Aussi, les deux CSS ont réussi grâce à cette approche à mieux redistribuer leurs ressources humaines en fonction des besoins de différentes écoles et à prévoir avec justesse les pénuries de personnel à venir selon les corps d’emploi et d’ajuster le recrutement en conséquence.
«On ne vient pas alourdir la tâche des équipes-écoles, a tenu à préciser le ministre Roberge. On ne vient pas dire quoi faire aux enseignants. On ne vient pas jouer dans la pédagogie des classes. On vient alléger le travail des équipes-écoles, diminuer la lourdeur de la bureaucratie dans la reddition de comptes en faisant une extraction de données et un partage d’informations.»
Les trois axes prioritaires d’analyse viseront l’absentéisme des élèves et la réussite scolaire, les besoins en ressources humaines et les opérations d’entretien des infrastructures.
Un gouvernement «cyberparanoïaque»
Ces données, qui seront anonymisées – ou dénominalisées, selon l’expression du ministère – pourront être traitées et analysées grâce, entre autres, à des tableaux de bord.
Le ministre Caire a voulu se faire rassurant à cet effet. «Le gouvernement du Québec doit être cyberparanoïaque. Compte tenu du fait qu’on travaille quand même avec de la donnée massive, je veux rassurer les Québécois: toutes les mesures seront prises pour assurer la cybersécurité de ces informations.»
Parmi les dépenses qui seront engagées, M. Roberge a expliqué que 1,3 million $ iront à des travaux d’harmonisation des données, afin de s’assurer que les données soient compatibles, comparables et fusionnables; 5 millions $ serviront au déploiement d’équipes de soutien aux écoles et aux CSS; 2 millions $ serviront au développement et la mise en place d’algorithmes et de modèles prédictifs; 1,1 million $ ira à la création d’un Centre d’expertise en intelligence artificielle dédié à l’éducation; 1,1 million $ sera consacré à la mise en commun des données et au développement d’outils de formation et de soutien à la réussite des élèves.
Cet effort de numérisation et d’analyse est réalisé avec l’aide de l’Institut québécois d’intelligence artificielle (MILA), l’Institut de valorisation des données (IVADO), l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’intelligence artificielle et du numérique (OBVIA) ainsi que de l’entreprise GRICS, spécialisée en technologie de l’information dans le domaine de l’éducation.
Des interrogations à la CSQ
La Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui représente environ 120 000 membres oeuvrant dans le secteur de l’éducation, a fait savoir que les annonces du gouvernement soulèvent de nombreuses questions.
«Évidemment, tout le monde sait bien que d’obtenir des informations du ministère de l’Éducation, c’est un véritable parcours du combattant! Nous sommes pleinement conscients de la nécessité de prendre le virage qui a été présenté. L’idée n’est pas de s’y opposer, mais bien de s’assurer que ce soit fait correctement. Et à la lumière des différents éléments déployés aujourd’hui, nous avons plusieurs questionnements et certaines craintes», a dit le président de la CSQ, Éric Gingras, dans un communiqué.
La CSQ s’interroge notamment quant au respect du jugement professionnel du personnel du réseau. «Un modèle, aussi efficace soit-il, demeurera toujours simplement un modèle. Il faudra toujours quelqu’un, en bout de ligne, pour poser un jugement professionnel. Ces guides ne pourront rendre compte de l’ensemble du parcours d’un élève, de ses forces et de ses faiblesses, de son évolution comme seul peut le faire le personnel de l’éducation», souligne M. Gingras.
Selon la CSQ, le personnel devrait être impliqué dans la conceptualisation de ces logiciels de valorisation des données, notamment pour éviter les biais. «Quelles données seront incluses et utilisées, pour mesurer quoi exactement? Le développement en vase clos de ces logiciels devant appuyer le travail du personnel serait une aberration», fait valoir la centrale syndicale.
Pour sa part, la Fédération des centres de services scolaires du Québec mentionne accueillir favorablement l’annonce du gouvernement.
«Nous apprécions de ce projet d’intelligence numérique en éducation le fait qu’il puisse permettre au réseau scolaire d’obtenir des données pertinentes, disponibles en temps opportun et utiles à la prise de décision en vue de déployer une offre de services de qualité et de prévenir le décrochage scolaire», a commenté la présidente-directrice générale, Caroline Dupré, dans un communiqué.
«De plus, comme le ministre de l’Éducation l’a souligné, il importe d’atteindre ces objectifs sans alourdir la tâche du personnel et des gestionnaires scolaires, mais plutôt d’alléger la bureaucratie», a-t-elle ajouté.