Les centres prévention du suicide réclament une hausse de leur financement

Frédéric Lacroix-Couture, La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Les centres de prévention du suicide (CPS) du Québec veulent voir une hausse de leur financement de la part du gouvernement, qui n’a pas été revu depuis des années, sinon ils risquent de perdre leur expertise sur le terrain, a plaidé la présidente du regroupement québécois des CPS. 

Lynda Poirier a été une des premières témoins entendues à l’ouverture des volets recommandations et représentations de l’enquête publique sur la thématique du suicide au palais de justice de Trois-Rivières, mercredi. 

Cette démarche menée par la coroner Me Julie-Kim Godin s’inscrit dans les enquêtes portant sur les décès de Mikhaël Ryan, Joceline Lamothe, Suzie Aubé, Jean-François Lussier, Marc Boudreau et Dave Murray.

Les centres de prévention ont besoin de plus d’argent pour retenir leurs employés qui offrent des services 24 heures sur 7, a exposé Mme Poirier parmi ses recommandations. 

«Si on ne peut pas améliorer les conditions de travail des intervenants en prévention du suicide, l’un des enjeux majeurs c’est qu’on perde l’expertise qui a été développée au Québec. Former un intervenant, ça prend des mois, voire des années. Si on est toujours à recruter et à former, il y a ce risque», a affirmé celle qui est aussi la directrice générale du CPS de Québec.

Déjà, des centres de prévention ont dû «faire des choix déchirants» et délester certains services «parce qu’ils n’avaient plus les moyens de payer leurs intervenants», a précisé Mme Poirier. 

«Est-ce qu’on en sera rendu-là au Québec? Spontanément, je ne peux pas croire. On a été un leader dans la prévention du suicide dans le monde», a-t-elle poursuivi. 

Québec a récemment dévoilé sa nouvelle stratégie nationale de prévention du suicide. Une enveloppe de 65 millions $ sur quatre ans est prévue pour la mise en œuvre de cette politique. Mme Poirier ignore pour le moment si les centres recevront une part de cette somme.

Elle déplore que le financement des CPS soit à «géométrie géographique très variable». La distribution de l’argent varie d’une région à l’autre en fonction du mandat établi par les CISSS et CIUSSS ou des projets mis de l’avant. 

Mme Poirier demande une reconnaissance des CPS comme mandataires de la prévention suicide sur le plan national plutôt que régional. Selon elle, leur rôle n’est pas davantage reconnu dans la nouvelle stratégie nationale. 

L’initiative gouvernementale vise à réduire d’ici 2026 le nombre de décès par suicide d’au moins 10 % pour faire passer le Québec sous la barre des 1000 décès par suicide annuellement

Des solutions de rechange aux urgences

Le chef du département de psychiatrie du CHUM est venu recommander d’accélérer les efforts pour développer des «alternatives» aux urgences psychiatriques pour les personnes avec des troubles concomitants, soit présentant à la fois des problèmes de santé mentale et de dépendance de consommation d’alcool ou de drogue. 

La plupart des personnes faisant l’objet de l’enquête publique de la coroner avaient comme «fil conducteur» un double diagnostic et avaient passé par les urgences avant de s’enlever la vie, a souligné le Dr Didier Jutras-Aswad. 

Mais selon lui, les hôpitaux ne sont pas toujours le bon endroit pour les troubles concomitants. Ils sont limités dans leur capacité à freiner la «cascade» menant vers le suicide.  

«Il faut absolument faire en sorte qu’on minimise le nombre de fois où on a besoin d’orienter quelqu’un vers une urgence psychiatrique», a soutenu le chercheur clinicien. 

Le médecin psychiatre propose notamment d’améliorer la responsabilité des guichets d’accès en santé mentale afin de «faire le maximum» pour joindre les patients afin qu’ils puissent bénéficier d’un accompagnement.  

Il recommande aussi de mieux former les professionnels de la santé aux troubles concomitants. Les établissements d’enseignement devraient intégrer cette réalité dans leur cursus, estime le Dr Jutras-Aswad. 

Le directeur général du Collège des médecins, le Dr André Luyet, a par ailleurs proposé qu’une portion des 50 heures de formation obligatoire annuellement pour les médecins porte sur les thèmes de la santé mentale, l’évaluation du risque de dangerosité homicidaire ou suicidaire, la toxicomanie et la gestion de crise. 

Plusieurs témoins ont aussi appelé pour que les différents intervenants cessent de travailler en silo. Le Dr Luyet a recommandé que les médecins deviennent les «chefs d’orchestre» d’équipes interdisciplinaires de divers professionnels pour éviter que les interventions auprès des personnes en détresse soient «morcelées». 

«Et qu’ils ne passent pas beaucoup d’énergie à toujours raconter leur histoire», a-t-il expliqué.

L’importance d’impliquer les proches des personnes en crise a aussi fait partie des propositions. Une révision ou une meilleure application du secret professionnel des équipes médicales devrait s’appliquer quand il est question d’une personne en danger, selon des témoins. 

L’enquête du coroner sur le suicide amorcée en 2019 est dans son dernier droit, après avoir complété le volet factuel l’automne dernier. Elle s’est d’abord penchée sur les causes et les circonstances de chacun des décès. 

Les audiences sur les recommandations et représentations doivent se tenir jusqu’au 10 juin. Une quarantaine de témoins sont attendus afin d’alimenter la réflexion de la coroner sur ses recommandations. Jeudi, plusieurs représentants du milieu policier viendront témoigner.  

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Cet article a été produit avec le soutien financier des Bourses Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelle

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