NEMASKA — Pour la première fois de son histoire, la Nation crie de Nemaska a reçu la visite d’un premier ministre, dimanche. François Legault a écouté les membres de la communauté raconter comment ils ont autrefois été chassés de leur territoire ancestral, sous menace d’être inondés par un barrage d’Hydro-Québec, une infrastructure qui n’a finalement jamais été construite.
En arrivant à Nemaska dimanche, le premier ministre Legault a été accueilli par des hommes et des femmes qui reconstituaient, sourire aux lèvres, l’arrivée en canot des membres de leur communauté sur les lieux ou le village fût fondé il y a 47 ans, dans l’Eeyou Istchee-Baie-James.
Chaque année, le 15 septembre, les Cris de Nemaska commémorent la fondation du «nouveau Nemaska», un village isolé, construit au cœur de la forêt boréale, à plus de 1500 kilomètres de Montréal.
«Ce soir, nous avons invité François Legault à un festin traditionnel, nous allons lui raconter notre histoire et lui remettre le livre écrit par notre communauté», a indiqué le chef du conseil de bande de Nemaska, Clarence Jolly, à La Presse Canadienne, alors que M. Legault prenait un bain de foule sur les berges du lac Champion.
Menace d’inondation et traumatismes
Le livre auquel le chef Jolly a fait allusion s’intitule «Going Home», un bouquin de 600 pages, paru en 2022, rempli de témoignages de citoyens de Nemaska.
On y raconte que la communauté a abandonné, au prix de traumatismes, son village ancestral de Old Nemaska, au début des années 1970, sous la menace d’être inondée par le projet de barrages d’Hydro-Québec Nottaway-Broadback-Rupert.
La communauté s’est alors séparée, et relocalisée dans un village situé à une centaine de kilomètres de Nemaska et dans un autre à plus de 300 km. Les femmes ont laissé sur place leur machine à coudre, les familles n’ont pu apporter leur canot et des chiens de chasse ont été abandonnés selon différents témoignages tirés du livre «Going Home».
Dans leurs nouveaux villages, plusieurs membres de la communauté éclatée ont vécu dans des «conditions déplorables sans aucun service» en plus d’être «victimes d’abus physiques et verbaux».
Malgré ces épreuves, l’inondation de «Old Nemaska» ne s’est jamais produite, car la société d’État a finalement choisi d’aménager des réservoirs dans un autre secteur.
La communauté s’est donc «relocalisée pour rien», y raconte le co-auteur du livre George Wapachee.
«Nous ne savions pas ce qu’étaient les droits ni vers qui nous tourner. Cela nous a transformés en réfugiés et nous a forcés à abandonner la vie que nous connaissions», a écrit M. Wapachee, qui est également un ancien chef de Nemaska.
«À cette époque, les familles perdaient leurs enfants dans les prisons-écoles (pensionnats) alors imaginez le fardeau de perde en plus sa communauté», a indiqué George Wapachee à La Presse Canadienne, lors de la visite du premier ministre.
«Aujourd’hui, nous voulons simplement parler de cette histoire à monsieur Legault, mais éventuellement, il faudra peut-être s’asseoir» et «quelqu’un devrait être tenu responsable», a-t-il ajouté.
Un autre ancien chef, Thomas Jolly, avait 15 ans lorsqu’il a été contraint de fuir son village.
«On m’a dit que je pouvais apporter seulement un sac avec moi», s’est souvenu M. Jolly.
La rencontre des membres de la communauté avec le premier ministre est importante selon lui «car il faut reconnaitre ce qui s’est produit et il faut parler des répercussions que la relocalisation a eues sur les gens», a-t-il expliqué en précisant «qu’on continue d’en voir les effets après toutes ces années».
Les journalistes qui accompagnaient le premier ministre dans l’Eeyou Istchee-Baie-James n’ont pas assisté au festin et aux rencontres privées entre le premier ministre et les dirigeants de Nemaska.
François Legault était accompagné de sa femme Isabelle Brais et du ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit Ian Lafrenière.
Avant de se rendre dans la communauté de Nemaska, il avait procédé officiellement, en début d’après-midi, à la désignation d’un barrage et d’une centrale électrique en l’honneur de Bernard Landry, dans les territoires traditionnels de la communauté crie d’Eastmain.