Les fabricants de tubes de prélèvement ont beau produire davantage, ça ne suffit pas

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
Les fabricants de tubes de prélèvement ont beau produire davantage, ça ne suffit pas

MONTRÉAL — La pénurie de tubes de prélèvement avec laquelle le Québec – tout comme le monde entier – doit composer depuis août 2021 n’est pas près de se résorber et risque même de s’aggraver avec l’arrivée maintenant confirmée d’une sixième vague.

Les vérifications de La Presse Canadienne auprès des fournisseurs, du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), de certains CIUSSS et de laboratoires privés indiquent que le rationnement de ces tubes est sévère et mène à des reports ou des annulations de prises de sang à plusieurs niveaux.

Seulement 50 % de la demande comblée

Ainsi, le MSSS confirme que son fournisseur ne comble plus que 50 % des demandes de l’ensemble de ses clients, dont le ministère lui-même. Cette situation a mené à des reports de rendez-vous dans le réseau public et à des annulations complètes du côté de certains laboratoires privés.

La situation s’est aggravée durant la cinquième vague et le manque à combler tarde à se résorber parce qu’en plus de la COVID-19, qui a entraîné une demande beaucoup plus grande, les hôpitaux cherchent en parallèle à rattraper le temps perdu durant la pandémie.

«Il s’agit d’un enjeu d’approvisionnement mondial qui persiste pour du matériel utilisé en grande quantité et à large échelle. Selon les informations dont nous disposons, cette demande serait en raison d’une conjoncture indue par la montée du taux d’infection à la COVID-19 combinée à la reprise des activités médicales», explique Marjorie Larouche, porte-parole du MSSS, dans un courriel à La Presse Canadienne.

Annulations et reports

La situation a entraîné des problèmes importants au cours des derniers mois. Au début de janvier, alors que la cinquième vague battait son plein, le CIUSSS de l’Estrie a dû annuler 6000 rendez-vous de prélèvements non urgents entre le 4 et le 7 janvier, puis annuler encore une fois les rendez-vous non urgents dans la semaine de 10 au 14 janvier.

À la fin de janvier, on rapportait des fermetures de laboratoires privés en Montérégie et, plus récemment au début de mars, plusieurs centres de prélèvement périphériques du Centre-du-Québec tels des pharmacies et laboratoires, ont dû référer leurs patients au CIUSSS Mauricie/Centre-du-Québec.

Dans la région de Montréal, certains laboratoires ont renoncé à offrir des rendez-vous pour des prélèvements sanguins depuis quelques jours, comme dans le cas des Services Phleb, un laboratoire privé qui dessert Montréal, Laval et la Montérégie-Ouest. Non seulement Phleb n’accepte plus de rendez-vous, le laboratoire a récemment dû en annuler plusieurs qui avaient été pris avant que la décision de cesser temporairement la pratique ne soit prise.

D’autres laboratoires privés ont dû faire des efforts colossaux pour s’ajuster. C’est le cas notamment chez Biron, l’une des plus importantes chaînes de laboratoires médicaux au Québec. «Pour l’instant, ça va; on a optimisé nos façons de faire pour tenter de préserver nos approvisionnements, mais l’équilibre reste fragile parce qu’on est comme tous les laboratoires de tous les milieux, de tous les pays, on doit composer avec cette pénurie, cette incapacité des fournisseurs de fournir au même rythme qu’ils le faisaient auparavant», explique Annie Gauthier, chef communications et relations publiques de l’entreprise.

500 000 tubes de plus: toujours insuffisant

Le plus important fournisseur de tubes de prélèvement au Canada, la firme BD Canada, dont une des usines de fabrication se trouve à Québec, confirme que la pandémie a entraîné «des défis sans précédent», selon son directeur des communications, Ozgur Uzun.

Et pourtant, BD affirme avoir produit un demi-milliard de tubes de plus en 2021 qu’en 2020 après «des investissements de plus de 300 millions $ dans la fabrication de tubes depuis quatre ans» dans l’ensemble de ses installations à travers le monde. L’entreprise a même dû «transférer une part de sa fabrication de produits moins critiques vers les produits les plus en demande», selon M. Uzun.

«Les besoins sans cesse changeants pour les types et les volumes de tests requis ont entraîné la demande la plus élevée et la plus imprévisible de l’histoire de BD», explique-t-il. Il ajoute que d’autres fournisseurs n’ont pu répondre à la demande au même rythme que par le passé, entraînant une demande additionnelle de nouveaux clients chez BD.

Problèmes d’approvisionnement multiples

Cependant, ajoute-t-il, l’entreprise vit les mêmes problèmes d’approvisionnement que l’ensemble des industries qui en produisent, notamment une disponibilité et un accès limités à la matière première, des délais d’expédition et de transport et un manque de main-d’œuvre provoqué par la pénurie de personnel, mais aussi et surtout par des taux d’absentéisme anormalement élevés d’employés ayant contracté la COVID-19.

Tant le MSSS que le fournisseur ont indiqué que les niveaux d’inventaire sont surveillés de très près pour chaque établissement et que l’on procède à une allocation selon les besoins de ceux-ci. Des rencontres hebdomadaires ont lieu entre les deux.

Contrôle serré des inventaires

Sans surprise, tous les responsables des approvisionnements des établissements de santé du MSSS ont reçu la directive «d’apporter une très grande vigilance à la gestion des inventaires déjà en établissements ainsi que de diffuser cette information aux entités sous leur responsabilité», dont les CLSC et les centres de prélèvements, explique Mme Larouche.

«Dans certaines régions, des rencontres ont lieu avec les médecins prescripteurs afin de resserrer la pertinence des demandes de tests et éviter des bris de services», ajoute-t-elle. Des sources au CIUSSS du Centre-Sud de l’Île de Montréal, l’un des plus importants dans la province, confirment que l’usage de tubes est devenu extrêmement parcimonieux et surveillé de très près sur une base quotidienne, de sorte qu’on a pu maintenir un service de prélèvement adéquat, bien que fragile, nous a-t-on confié.

Investissements d’optimisation

Annie Gauthier explique de son côté que chez Biron, on doit d’une part faire avec ce que l’on a parce que la priorité va au MSSS. «On ne peut pas en commander autant qu’on pouvait en commander auparavant et on doit privilégier le réseau de santé public. Nous sommes conscients de ça, on le respecte et on est d’accord avec cette façon de faire. Notre réseau de santé public a une mission particulière dans la province et c’est important que lui puisse d’abord et avant tout avoir droit aux quantités dont il a besoin.»

D’autre part, l’entreprise a compris qu’elle devrait changer ses façons de faire lorsqu’est apparue la pandémie. «Ce qu’on a fait, dans un premier temps, c’est de tenter d’optimiser le matériel qu’on possède déjà. On essaie – toujours dans les règles de l’art et en respectant les paramètres qui dictent le travail de prélèvement et d’analyse sanguine – d’utiliser moins de ces tubes. On essaie aussi de prélever un petit peu moins de sang, sans compromettre la qualité des analyses.»

Mais aussi, ajoute-t-elle, l’entreprise a investi pour gérer la pénurie de tubes. «Pendant la pandémie, on a agrandi nos installations de laboratoire et on a acquis de nouveaux appareils. Ce qui nous préserve le plus ces temps-ci, sans que ce soit une panacée, c’est l’optimisation de ce que l’on fait et notre appareillage qui est beaucoup plus performant et qui permet de faire plus d’analyses un peu plus avec moins de matière si l’on veut, mais d’avoir un résultat qui est tout aussi de qualité.»

Un autre élément qui a aidé à encaisser la diminution a été une baisse d’achalandage «surtout durant la première année (de la pandémie). Plusieurs personnes avaient des craintes de sortir et ont complètement cessé ou reporté à plus tard leurs besoins en termes de services d’analyse ou de services diagnostiques.»

Là comme dans le secteur public, la vigilance a été rehaussée d’un cran. «Est-ce qu’on peut avoir exactement les mêmes quantités qu’auparavant? Non. Ç’a changé. C’est pour ça qu’on doit surveiller nos approvisionnements de façon encore plus étroite qu’on le faisait avant», dit Mme Gauthier.

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