OTTAWA — Les ministres fédéraux ont tour à tour minimisé mardi la fronde qui s’organise en coulisses parmi les députés libéraux pour contester le leadership de leur chef, Justin Trudeau, alors que plusieurs dizaines d’entre eux auraient signé une lettre lui demandant de céder sa place.
«L’une des choses que j’aime dans mon caucus – j’ai été élu il y a 20 ans – c’est qu’il regorge d’opinions et que les gens sont invités à les partager», a déclaré le ministre de la Santé, Mark Holland, à son arrivée à la réunion du cabinet.
Il a présenté la discussion qu’auront mercredi les députés réunis sur la colline du Parlement comme «ce qui se passe dans tous les caucus en tout temps».
Comme d’autres, M. Holland a expliqué que les discussions difficiles sont saines et bienvenues dans un caucus en santé. M. Trudeau, lui, jouit de son «énorme respect et admiration».
Le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos, est quant à lui venu dire qu’à sa connaissance «personne» n’a vu la fameuse lettre, si bien qu’il se demande carrément «si elle existe».
L’ex-ministre et députée franco-ontarienne Mona Fortier est même allée jusqu’à parler d’une «lettre fantôme».
«Je ne sais pas c’est qui et il n’y a pas personne qui a parlé encore», a-t-elle dit en ajoutant qu’elle n’avait probablement pas été approchée pour signer la missive en raison de son implication dans la préparation de la prochaine plateforme électorale des libéraux.
Mardi, un troisième député libéral signalait publiquement, au cours d’une entrevue avec Radio-Canada, avoir signé la lettre, soit l’élu terre-neuvien Ken McDonald. Ce même député avait réclamé en janvier dernier une «révision du leadership», toujours dans un entretien avec le diffuseur public, mais il avait ensuite rétropédalé.
Son collègue représentant la circonscription de Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard, Sean Casey, a indiqué lundi être l’un des signataires de la lettre.
«J’ai beaucoup de respect pour Sean. Il a un point de vue», a rétorqué le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, précisant qu’il était en désaccord avec lui.
M. Trudeau a l’appui de «la vaste, vaste majorité» du caucus, a renchéri le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault. «Le premier ministre a tout mon appui», a-t-il insisté.
Quand une journaliste l’a informé que le député néo-brunswickois Wayne Long a également signé la lettre, comme le rapporte le «Toronto Star», M. Guilbeault a tenté de discréditer cet élu libéral.
«En tout respect pour le député Long, il ne sollicitera pas un nouveau mandat. Il a déjà pris la parole publiquement dans le passé comme quelqu’un qui n’est pas satisfait de plusieurs des choses que nous avons faites», a-t-il dit.
Le premier ministre s’est fait demander si son leadership est en danger. «Non», a-t-il répondu sans s’arrêter pour parler davantage aux journalistes.
Comme la veille, les députés libéraux d’arrière-ban ont été loin de se précipiter au portillon pour exprimer publiquement leur appui à M. Trudeau. Lorsqu’elle s’est fait demander si elle croyait qu’il était temps que son parti se dote d’un nouveau chef, la libérale Salma Zahid a répondu que ces «conversations» doivent avoir lieu en privé, «dans la salle de caucus».
Sa collègue Hedy Fry a affirmé avoir confiance dans le premier ministre, mais est restée vague quand une journaliste lui a demandé si elle croit que M. Trudeau devrait mener la barque libérale durant la prochaine campagne électorale. «Nous allons discuter de ça en caucus», s’est-elle contentée de dire.
«Manque de courage»
Selon le ministre de l’Immigration, Marc Miller, les députés mutins font carrément preuve d’un «manque de courage» en s’exprimant «en coulisses, en cachette».
Quant à lui, ils devraient s’exprimer directement devant le premier ministre.
Justement, l’heure de vérité approche alors que, selon plusieurs médias, le groupe de députés se prépare à confronter M. Trudeau lors de la réunion du caucus prévue mercredi matin, ce qui représenterait le défi le plus sérieux à son leadership jusqu’à présent.
La stratégie précise et l’ampleur du mouvement visant à pousser M. Trudeau à démissionner restent floues, bien que certains députés qui se sont confiés à La Presse Canadienne aient mentionné que le nombre d’élus impliqués est important.
En attendant la réunion de mercredi, le chef conservateur Pierre Poilievre a repris à son compte, durant la période des questions de mardi, les tiraillements au sein du caucus libéral.
«Ses propres députés, il y en a une quarantaine qui constatent (que M. Trudeau) n’en vaut pas le coût, le crime ni la corruption. En fait, ils ont perdu la confiance dans ce premier ministre», a-t-il lancé en accusant le chef libéral de museler les voix dissonantes au sein de son parti.
Ce dernier a rétorqué que M. Poilievre fait la démonstration qu’il «se préoccupe de ses propres priorités politiques et partisanes et non du bien-être des Canadiens».
Les libéraux sont à la traîne dans les sondages depuis plus d’un an, accusant grosso modo 20 points de retard sur les conservateurs. Le Québec est la seule province où le parti de M. Poilievre ne mène pas dans les intentions de vote. C’est plutôt le Bloc québécois qui y est favori.
Selon le ministre Miller, «chaque minute consacrée à ces bêtises» concernant les députés libéraux signataires de la lettre est perdue puisqu’elle ne sert pas à mettre l’emphase sur «les politiques destructrices de Pierre Poilievre».