MONTRÉAL — Certains clients des 23 hôtels des régions de Montréal, Québec et Sherbrooke affectés par une grève de 24 heures de leurs 2600 employés ont dû faire eux-mêmes leur lit ou encore se passer du petit déjeuner livré à la chambre, jeudi.
Certes, le directeur général de l’Association hôtelière du Grand Montréal, Éric Hamel, affichait en entrevue le flegme d’un grand concierge d’hôtel de prestige devant l’adversité, affirmant que «c’est « business as usual ». Les clients entrent et sortent, les gestionnaires ont pris la gestion de chacun des hôtels. À ce niveau-là, ça va très bien et les clients semblent être satisfaits», a-t-il avancé, bien qu’il soit impossible que les cadres d’un grand hôtel comptant des centaines d’employés accomplissent le même travail que ceux-ci en leur absence.
En fait, sachant que la grève d’un jour s’en venait, certains établissements avaient même réduit leur inventaire, précise-t-il: «Comme c’était annoncé depuis une semaine, nos hôteliers ont commencé à se préparer aussi pour être capables de livrer le service. Certains hôtels ont limité leurs disponibilités entre 80 % et 85 % de leur inventaire. Mais aujourd’hui, toutes les chambres qui étaient disponibles dans nos hôtels sont occupées. C’est quand même une très bonne, une très grosse période pour nos hôteliers.»
Retour d’ascenseur de 36 % réclamé
Les responsables syndicaux acquiescent, estimant que les hôteliers ont profité des concessions consenties par leurs membres en marge de la pandémie pour engranger des profits comme jamais auparavant. «Les employeurs en ont profité pour s’enrichir parce qu’ils ont augmenté les tarifs de leurs chambres de façon encore plus importante que l’indice des prix à la consommation», affirme Michel Valiquette, responsable du secteur de l’hôtellerie à la CSN.
«Ces travailleuses-là, ces travailleurs-là au cours des dernières années, suite à la pandémie, ont fait profiter les employeurs d’une relance qui était exceptionnelle dans le secteur de l’hôtellerie. C’est maintenant à leur tour de pouvoir bénéficier de cette relance-là et d’un meilleur partage de la richesse.»
Le partage recherché n’est pas anodin. Les syndiqués réclament 36 % d’augmentation sur quatre ans, soit 15 % la première année et 7 % pour chacune des trois suivantes. Leur argumentaire repose sur le fait que les augmentations totalisant 8 % reçues au cours des quatre dernières années ont provoqué un appauvrissement, l’inflation dépassant ce pourcentage durant la seule année 2022.
Guerre de chiffres
Du côté patronal, Éric Hamel rétorque sans avancer de chiffres qu’il faut plutôt calculer le total des augmentations sur les huit dernières années: «Quand on regarde les huit dernières années, le taux d’inflation versus les augmentations salariales offertes par nos hôteliers, les augmentations salariales sur huit ans couvrent amplement l’inflation que nos employés ont (subi)», soutient-il, reprochant au syndicat de cibler la période de quatre ans plutôt que huit parce qu’elle avantage ses demandes.
La guerre de chiffres va plus loin, M. Hamel affirmant qu’un autre grand hôtel montréalais syndiqué à la CSN, l’Omni, s’est entendu sur des augmentations de 14 % sur quatre ans en décembre dernier. «Il ne faut pas mélanger les pommes puis les oranges», s’insurge Michel Valiquette lorsque confronté à ces chiffres. «On est en négociation coordonnée. 30 syndicats se sont dotés de ces des moyens pour négocier de façon coordonnée et ensemble pour se donner un meilleur rapport de force. Nos demandes, elles sont justifiées et elles sont méritées et on ne les lâchera pas», martèle-t-il. Sept des 30 hôtels participant à cette négociation n’étaient pas en grève jeudi parce que leurs employés ne sont pas encore rendus à l’étape du processus qui leur en donne le droit.
Portraits contradictoires
Cette guerre des chiffres permet aussi à chaque partie d’offrir des portraits diamétralement opposés de la réalité. Ainsi, affirme le directeur général de l’Association hôtelière, «un employé qui travaille avec nous dans un hôtel de la CSN va commencer à 60 000$ et on est très fiers que certains de nos employés font même au-dessus de 100 000$».
Pourtant, Fernando Alvarez, président du syndicat des employés de l’Hôtel Radisson de l’aéroport de Montréal soutient au contraire qu’«il y a des employés à temps plein qui travaillent 40 heures qui doivent se tourner vers les banques alimentaires pour mettre de la nourriture sur la table à la maison. Il y a aussi des employés qui n’ont pas les moyens de payer l’assurance collective offerte par l’industrie hôtelière même si cette assurance est payée à 50 % par l’employeur.»
Des deux côtés, on sent que les questions normatives pourraient se régler assez rapidement, mais il est certain que l’écart entre l’offre et la demande, côté salarial, sera un obstacle difficile à surmonter.
Impasse salariale
Du côté patronal, Éric Hamel est catégorique: «C’est sûr et certain qu’aujourd’hui, si la demande demeure à 36 % par exemple au niveau des salaires, nos hôteliers n’ont juste pas la capacité de payer ces salaires-là.»
Du côté syndical, on ne sent pas plus de flexibilité. «La réaction aujourd’hui des travailleuses et travailleurs démontre leur ras-le-bol (…), qu’ils sont réellement déterminés à obtenir les conditions de travail qu’ils méritent et que c’est terminé de s’appauvrir», martèle Michel Valiquette.
Pour l’instant, les moyens de pression reposent sur un mandat de 120 heures de grève au total, mais lorsque ce sera écoulé, «on ira chercher d’autres mandats en assemblée générale et ça n’exclut pas la possibilité de déclencher des grèves générales illimitées», avertit le syndicaliste.
Pour l’instant, dit-il, «on veut profiter du rapport de force qui se situe maintenant en pleine saison estivale. Donc on va continuer de mettre la pression sur les hôteliers au cours des prochains jours, au cours des prochaines semaines pour arriver à une entente d’ici la fin de la saison estivale.»