Les travaux du gouvernement fédéral à l’arrêt pour une durée indéterminée

Laura Osman et Alessia Passafiume, La Presse Canadienne
Les travaux du gouvernement fédéral à l’arrêt pour une durée indéterminée

OTTAWA — Le gouvernement n’a pas été en mesure de présenter ses propres dossiers à la Chambre des communes pendant une semaine entière, et les conservateurs ont déclaré jeudi que c’était le résultat de la «corruption» des libéraux.

Le leader conservateur à la Chambre, Andrew Scheer, a affirmé que le parti au pouvoir préférerait voir la Chambre embourbée dans des débats plutôt que de produire des documents liés à de l’argent public mal dépensé dans un programme que son parti a surnommé la «caisse noire verte».

Le président de la Chambre, Greg Fergus, a statué jeudi dernier que le gouvernement «ne s’était clairement pas entièrement conformé» à un ordre de la Chambre de fournir des documents liés à une fondation, aujourd’hui disparue, responsable de la distribution de centaines de millions de dollars fédéraux pour des projets de technologie verte.

Plutôt que d’ordonner au gouvernement de produire immédiatement les documents, M. Fergus a décrété que la question devrait être renvoyée à un comité pour étude, et M. Scheer a présenté une motion demandant précisément cela.

La Chambre a été saisie d’un débat sur la motion depuis lors et Andrew Scheer a prévenu que cela resterait ainsi jusqu’à ce que le gouvernement accepte de remettre les documents à la police.

«Ils sont prêts à ce que le Parlement soit paralysé plutôt que de remettre ces informations à la GRC pour une éventuelle enquête criminelle», s’est insurgé M. Scheer dans une entrevue jeudi.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a dit aux députés cet été qu’elle ne pourrait probablement pas utiliser les documents dans le cadre d’une enquête, mais M. Scheer a fait valoir qu’ils devraient avoir accès à toutes les informations avant de prendre une décision.

Les libéraux ont affirmé qu’ordonner la production de documents à remettre à la GRC brouille les lignes entre le Parlement et le pouvoir judiciaire, et ils blâment les conservateurs pour le dysfonctionnement de la Chambre.

La leader parlementaire libérale Karina Gould a qualifié la demande de documents d’abus de pouvoir du Parlement, qui piétine les droits des Canadiens garantis par la Charte.

«Soyons très clairs, ce sont les conservateurs qui tentent de salir le Parlement, a argué Mme Gould jeudi. Les députés conservateurs sont ici pour leurs propres objectifs politiques et personnels et ils ne se soucient pas de ce qu’ils font aux Canadiens entre-temps, et c’est quelque chose qui devrait être extrêmement alarmant pour nous tous.»

Andrew Scheer a contre argumenté en disant que la Charte existe «pour protéger le peuple du gouvernement. Elle n’est pas là pour protéger le gouvernement de la responsabilité due au peuple».

Un conflit similaire concernant des documents gouvernementaux s’est produit lorsque les conservateurs étaient au pouvoir lors d’un conflit de gouvernement minoritaire il y a plus de dix ans. En 2009, la Chambre a ordonné au gouvernement de divulguer des documents non expurgés liés au rôle du Canada dans la torture de détenus afghans.

Quelques semaines après que les partis d’opposition ont adopté une motion exigeant la production des documents, le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, a prorogé le Parlement pendant plusieurs mois, empêchant le comité de la Chambre de poursuivre la question.

Dans ce cas, le gouvernement libéral a aboli Technologies du développement durable Canada après que la vérificatrice générale a publié un rapport cinglant sur la gestion de l’organisation, au printemps dernier. Parmi les projets qu’elle a examinés, un sur six ayant reçu du financement n’était pas admissible. Le rapport de la vérificatrice a également révélé 90 cas où les politiques sur les conflits d’intérêts ont été violées.

Un mois plus tard, la commissaire à l’éthique a conclu que l’ancienne présidente de la fondation n’avait pas réussi à se récuser de décisions qui ont profité à des organisations avec lesquelles elle avait des liens.

Une rentrée particulièrement houleuse

La Chambre est dans un état de trouble presque constant depuis le retour des députés à Ottawa à la mi-septembre.

Les conservateurs ont tenté à deux reprises de renverser le gouvernement minoritaire au moyen de motions de censure. Bien que les deux tentatives n’aient pas réussi à obtenir l’appui des autres partis d’opposition, les conservateurs promettent qu’il y aura d’autres votes de ce genre à venir.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a dénoncé un «manque de respect pour la démocratie» à la Chambre lors d’une conférence de presse sans rapport avec le sujet, jeudi à Chicoutimi, au Québec.

M. Blanchet a affirmé que les députés du Bloc sont parmi les rares au Parlement à poser des questions réfléchies au lieu de «débiter des slogans et de taper sur le bureau», comme les autres partis à la Chambre.

«Ils sont fiers d’avoir répété la même chose qu’ils ont répétée 60 fois au cours des 60 derniers jours, a-t-il déclaré en français. Refuser de répondre à des questions, quand il y en a de vraies, n’est pas plus respectueux des électeurs.»

Parmi les rares votes qui ont eu lieu cette semaine, il y a eu une motion du Bloc québécois pour pousser le gouvernement à appuyer son projet de loi sur les pensions pour les personnes âgées de moins de 75 ans, un changement qui coûterait plus de 3 milliards $ par an.

Bien que les conservateurs aient critiqué ce qu’ils appellent des dépenses inflationnistes à motivation politique, ils ont apporté leur soutien au projet de loi.

Le conservateur Andrew Scheer n’a pas répondu à une question sur les raisons pour lesquelles le parti a soutenu la motion.

La porte-parole conservatrice pour les aînés, Anna Roberts, a affirmé dans un communiqué que les dépenses inflationnistes du gouvernement ont «augmenté le coût de l’épicerie et de l’essence et ont mis à rude épreuve les familles canadiennes et les aînés à revenu fixe.»

Carney conseillant Trudeau dérogerait à l’éthique

Les conservateurs ont également demandé au commissaire au lobbying du Canada d’enquêter pour déterminer si le fait que le premier ministre fasse de Mark Carney son conseiller personnel contrevient aux règles d’éthique.

Les libéraux ont annoncé lors de leur récente retraite du caucus à Nanaimo, en Colombie-Britannique, que M. Carney, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, avait été nommé président d’un groupe de travail sur la croissance économique et conseiller du chef libéral.

Ils ont déclaré que M. Carney contribuera à façonner les politiques du parti pour les prochaines élections et rendra des comptes à Justin Trudeau et au comité de la plateforme libérale.

Le critique conservateur en matière d’éthique, Michael Barrett, a déclaré dans une lettre au commissaire au lobbying que l’ancien gouverneur de la Banque du Canada n’est pas enregistré pour faire du lobbying au niveau fédéral, mais que ses fonctions au sein des entreprises le placent dans plusieurs situations de conflits d’intérêts potentiels.

«Comment un membre du personnel ministériel, un député ou un ministre du cabinet pourrait-il ne pas se sentir redevable envers M. Carney en raison de son étroite affiliation avec le premier ministre et le ministre des Finances?», a demandé M. Barrett dans sa lettre de jeudi.

Mark Carney est le président de Brookfield Asset Management, qui est en pourparlers avec le gouvernement pour lancer un fonds d’investissement de 50 milliards $, avec le soutien d’Ottawa et des régimes de retraite canadiens.

Interrogé sur le conflit d’intérêts potentiel de M. Carney à la Chambre, le ministre des Finances a accusé à plusieurs reprises les conservateurs de diffamation et a déclaré que les libéraux ont la chance de bénéficier des conseils d’experts de renommée mondiale.

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