Lieutenante-gouverneure unilingue: ça n’a «aucun sens», disent les Acadiens

Michel Saba, La Presse Canadienne
Lieutenante-gouverneure unilingue: ça n’a «aucun sens», disent les Acadiens

OTTAWA — Les propos tenus jeudi par la ministre fédérale des Langues officielles n’ont «aucun sens», tranche un important regroupement de défense des droits des Acadiens et des francophones du Nouveau-Brunswick.

À son entrée au conseil des ministres jeudi matin, la ministre Ginette Petitpas Taylor a défendu la décision du gouvernement Trudeau d’interjeter appel du jugement ayant déclaré inconstitutionnelle la nomination d’une lieutenante-gouverneure unilingue anglophone dans la seule province officiellement bilingue.

Mme Petitpas Taylor a affirmé que l’appel vise simplement à «regarder des items techniques de la Constitution» et que ça «n’a absolument rien à faire avec le principe que le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick doit être une personne bilingue».

«C’est tout interrelié», réplique en entrevue avec La Presse Canadienne le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Alexandre Cédric Doucet, dont l’organisation a amené la cause devant les tribunaux.

«Le gouvernement fédéral avait deux choix. C’était soit d’aller procéder à une modification de la Loi sur les langues officielles en y mettant la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick pour s’assurer que les prochaines nominations soient bilingues, soit de procéder à un appel.»

Dans sa décision, la juge en chef de la Cour du Banc de la Reine, Tracey K. DeWare, estime que le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick «doit être bilingue et capable de s’acquitter de toutes les tâches requises de son rôle en anglais et en français». Elle n’invalide toutefois pas la nomination.

En interjetant appel, Ottawa soutient dans sa requête que le pouvoir de nomination à ce poste ne contient «aucune exigence de bilinguisme» et que ni la Constitution ni la Charte canadienne des droits et libertés ne peuvent l’assujettir à une telle exigence.

Le gouvernement Trudeau estime que les conditions de nomination du lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick imposées par la juge viennent donc modifier la Constitution, ce qui nécessite l’approbation de toutes les provinces et du gouvernement fédéral.

Pressée de questions, Mme Petitpas Taylor a répété à de nombreuses reprises en mêlée de presse que le gouvernement est «complètement d’accord» que tous les successeurs de la lieutenante-gouverneure actuelle, Brenda Murphy, qu’il a lui-même nommée en 2019, doivent être bilingues.

«Les paroles s’envolent, les écrits restent», estime plutôt le président de la SANB. Selon lui, la seule façon de s’assurer que les prochains gouvernements, tous partis confondus, nomment un lieutenant-gouverneur qui peut parler et comprendre le français est d’enchâsser cela dans une loi. Une suggestion à laquelle la ministre répond que «la décision de la Cour d’appel va clarifier ces choses-là».

Trois des six députés libéraux du Nouveau-Brunswick, René Arseneault, Serge Cormier et Jenica Atwin, ont pris la parole publiquement pour dénoncer la décision de leur gouvernement de porter le jugement en appel.

La ministre Petitpas Taylor a refusé de dire si elle partage l’avis de ses trois collègues, se contentant de dire qu’elle «empathise» avec eux et que le caucus compte plus de «150 députés et nous avons tous des opinions différentes».

Le gouvernement Trudeau fait preuve d’une «incohérence totale», juge M. Doucet.

«D’un côté, on a un dépôt d’un projet de loi qui est quand même assez historique, qui donne des avancées au niveau des minorités linguistiques, illustre-t-il. Et d’un autre côté, on a une affaire (…) qui reconnaît des droits collectifs à la communauté acadienne et francophone du Nouveau-Brunswick et le gouvernement fédéral procède à un appel.»

Le sujet a rebondi en après-midi à la période des questions à la Chambre des communes. Le Bloc québécois n’a pas manqué de lui aussi relever ce qu’il estime être une contradiction en soulignant que des députés libéraux ont manifesté durant la fin de semaine contre le projet de loi 96 du gouvernement du Québec.

«D’un bord, on a les députés libéraux qui défendent le français au Nouveau-Brunswick. De l’autre, on a des députés libéraux qui manifestent contre la défense du français au Québec. (…) Qui va être écouté par le premier ministre, ceux qui se battent pour le français ou ceux qui se battent contre le français?», a servi le leader parlementaire, Alain Therrien.

C’est le lieutenant du Québec, Pablo Rodriguez, qui lui a donné la réplique non sans manquer d’accuser une fois de plus les bloquistes de se radicaliser.

«Ils se radicalisent également lorsqu’ils disent que lorsque quelqu’un pose une question contre 96, on est contre (la loi) 101. On est en faveur de 101, monsieur le président. Ça l’a toujours été. Ça a été la position du parti.»

M. Rodriguez a assuré que son parti est «là pour défendre le français et respecter la minorité anglophone».

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