L’INRS s’attaque à une maladie aussi dangereuse que l’Ebola et la variole

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
L’INRS s’attaque à une maladie aussi dangereuse que l’Ebola et la variole

MONTRÉAL — Un financement de plusieurs centaines de milliers de dollars permettra à un chercheur de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) de poursuivre le développement d’un vaccin contre une maladie très peu connue, mais potentiellement aussi dangereuse que l’Ebola et la variole.

Le financement de 700 000 $ a été accordé par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) au professeur Charles Gauthier, qui pourra maintenant procéder aux essais précliniques du nouveau vaccin contre la mélioïdose en collaboration avec ses collègues Éric Déziel et Alain Lamarre.

«(La mélioïdose) a été ajoutée à la liste ‘Tier 1 Select agents and toxins’ des Centers for Disease Control and Prevention (des États-Unis) au même titre que l’Ebola, le virus de la variole, la tularémie et la maladie du charbon, a dit le professeur Gauthier. Il y a des raisons de penser que ça pourrait être utilisé comme une arme bioterroriste, comme une arme biologique, et ça a déjà été expérimenté à cet effet. Ce n’est pas une blague, cette maladie-là.»

La mélioïdose est une maladie infectieuse multisymptomatique, résistante aux antibiotiques, dont le taux de mortalité peut atteindre 50 %, et qui peut seulement être soignée avec des médicaments intraveineux administrés pendant plusieurs mois. Les problèmes de santé qu’elle cause vont des plaies de peau à la pneumonie et à la septicémie.

La mélioïdose est causée par la bactérie Burkholderia pseudomallei, qui se cache dans la boue et les sols de pays équatoriaux comme l’Australie, la Thaïlande, l’Inde ou le Brésil. La maladie pourra aussi se trouver dans des particules asséchées qui seront emportées par le vent, faisant des victimes à des centaines de kilomètres de là.

«On n’en a pas ici parce que nous ne sommes pas dans les zones où la bactérie peut survivre, mais on pourrait penser qu’avec (…) l’augmentation des températures, peut-être que les zones d’endémie pourront venir jusqu’aux États-Unis ou un peu plus vers le Nord», a prévenu le professeur Gauthier.

On retrouve parfois la maladie chez des voyageurs qui rentrent des pays où elle est présente, mais son diagnostic peut être difficile tant elle est peu connue. La maladie, a ajouté M. Gauthier, «n’est même pas sur la liste des maladies négligées de l’OMS. On dit que c’est une maladie négligée négligée».

Projet de cinq ans

Au cours des cinq années pendant lesquelles durera le projet, le professeur Gauthier et ses collègues poursuivront leur développement d’un vaccin glycoconjugué contre la mélioïdose, à savoir un vaccin qui provoque une réponse immunitaire en imitant les sucres qui se retrouvent à la surface de la bactérie.

Les scientifiques testeront sur des souris plusieurs versions du vaccin avec différentes combinaisons des trois chaînes de sucres, ou polysaccharides, exprimés par la bactérie.

Burkholderia pseudomallei est si dangereuse qu’elle peut seulement être étudiée dans des laboratoires ultra-sécurisés de niveau 3. L’INRS a récemment inauguré de telles installations à Laval, mais le professeur Gauthier utilisera pour le moment des imitations des sucres exprimés par la bactérie, ce qui éliminera tout risque associé à la manipulation du pathogène lui-même.

Des tests effectués en collaboration avec des chercheurs thaïlandais qui avaient accès au sang de patients atteints par la mélioïdose ont déjà démontré que leur système immunitaire répond aussi bien, et parfois même mieux, aux polysaccharides synthétisés par l’équipe du professeur Gauthier qu’aux polysaccharides produits naturellement par la bactérie. La piste semble donc prometteuse.

Des pays riches comme le Canada et les États-Unis ou encore l’Union européenne ont la responsabilité de s’attaquer aux maladies négligées comme la mélioïdose, croit le professeur Gauthier, puisque les pays qu’elles affligent n’ont souvent pas les ressources de le faire eux-mêmes.

Le financement peut toutefois être ardu à obtenir quand il est question d’une maladie qui touche des populations pauvres, ce qui signifie que les profits pourront être rares. Des marchés aussi immenses que l’Inde et le Brésil peuvent en revanche être alléchants.

Il y a toutefois des histoires qui finissent bien, comme le vaccin contre l’Ebola développé au Canada, a souligné M. Gauthier. La pandémie pourrait aussi avoir entraîné un changement des mentalités.

«Depuis la pandémie, dans le contexte actuel mondial, je pense que les organismes subventionnaires comme les IRSC, qui me financent sur ce projet-là, sont peut-être plus enclins à financer les projets dans le domaine des vaccins, et c’est ce qui nous est arrivé», a dit le professeur Gauthier.

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