Nouvelle stratégie pour limiter les dégâts d’un traumatisme craniocérébral

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
Nouvelle stratégie pour limiter les dégâts d’un traumatisme craniocérébral

MONTRÉAL — Une approche plus libérale aux transfusions sanguines permettrait aux personnes hospitalisées dans une unité de soins intensifs de recouvrer davantage d’indépendance fonctionnelle et une meilleure qualité de vie après un grave traumatisme craniocérébral, indique une étude pilotée par un chercheur au CHU de Québec.

Six mois après leur accident, les patients qui avaient profité de cette approche libérale profitaient d’une plus grande indépendance fonctionnelle ― par exemple, leur capacité à se nourrir ou à s’habiller seuls ― et d’une meilleure qualité de vie que ceux soumis à une approche plus restrictive. L’incidence de décès et de handicap majeur ne différait toutefois pas de façon significative entre les deux groupes.

Une étude publiée en 1999 avait amené les médecins à diminuer leur utilisation de produits sanguins et à tolérer des niveaux d’anémie plus élevés qu’avant, a rappelé le docteur Alexis Turgeon, qui est aussi professeur à l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en soins intensifs neurologiques et traumatologie.

«Le problème, c’est qu’il y a des populations de patients ou des conditions cliniques spécifiques qui ne se prêtent pas vraiment à avoir des seuils restrictifs, a-t-il dit. Ou du moins, depuis plusieurs années on se demande si on est en train de nuire à certaines populations, et notamment aux patients qui ont un traumatisme craniocérébral.»

Le docteur Turgeon et ses collègues ont lancé, en 2017, un essai clinique randomisé auprès de 742 personnes hospitalisées dans une unité de soins intensifs dans 34 centres hospitaliers du Canada, du Royaume-Uni, de la France et du Brésil. Tous les sujets avaient subi un TCC modéré ou grave et souffraient d’anémie.

Les chercheurs souhaitaient comparer deux stratégies de transfusions sanguines – l’une dite restrictive et l’autre libérale – pour prendre en charge ces patients.

L’approche restrictive tolère une concentration basse d’hémoglobine avant de donner une transfusion, tandis que l’approche libérale vise pour sa part à maintenir des concentrations élevées d’hémoglobine, donc de donner plus de transfusions sanguines.

L’hémoglobine est ce qui permet aux globules rouges de transporter l’oxygène vers les organes. La plupart des patients hospitalisés à la suite d’un TCC souffrent d’anémie, ce qui pourrait réduire le transport d’oxygène vers le cerveau à un moment où il est très vulnérable et désorganisé.

Réactions différentes

Le cœur réagit à une anémie en accélérant le rythme pour s’assurer que suffisamment d’oxygène se rendra aux organes. Le cerveau a toutefois sa propre stratégie indépendante, a expliqué le docteur Turgeon.

«Le cerveau ne tolère pas le manque d’oxygène, et dans un contexte d’anémie, il ne fonctionne pas comme le reste du corps, a-t-il rappelé. Il a son propre mécanisme d’autorégulation et il ne répond pas à l’augmentation du rythme cardiaque.»

Si le rythme cardiaque augmente, a-t-il ajouté, le cerveau met en place des mécanismes pour se protéger. Face à une baisse de l’hémoglobine, par exemple, il va augmenter son flot sanguin pour s’assurer de recevoir suffisamment d’oxygène.

Mais lors d’un traumatisme crânien, a dit le docteur Turgeon, ces mécanismes sont déréglés et ne fonctionnent plus adéquatement.

«Le cerveau a une incapacité d’augmenter le flot sanguin cérébral de façon adéquate, a-t-il expliqué. Si le flot sanguin n’est pas capable d’augmenter, on a vraiment une diminution du transport d’oxygène vers le cerveau.»

L’hypothèse derrière cet essai clinique supposait donc qu’il pourrait être bénéfique pour ces patients de revenir aux stratégies plus libérales de transfusions sanguines qui prévalaient dans les années 1990, à savoir de procéder à une transfusion dès que la concentration d’hémoglobine atteint 10 grammes/décilitre, plutôt que d’attendre 7 grammes/décilitre comme l’indiquent les nouvelles normes.

Si le flot sanguin est altéré, et si on n’est pas en mesure de compenser l’anémie, on devrait être en mesure d’assurer un transport d’oxygène adéquat en augmentant le nombre de globules rouges disponibles, a résumé le docteur Turgeon.

«Lors d’un traumatisme cérébral, ce n’est pas la mortalité qui est le plus important, a dit le docteur Turgeon. Oui, les familles veulent savoir si le patient va survivre, mais s’il survit, dans quel état est-ce qu’il sera?»

Les chercheurs ont donc mesuré l’impact de la stratégie plus libérale sur différentes issues centrées sur le patient. Si l’analyse principale n’est pas «statistiquement significative», a dit le chercheur, «les issues cliniques principales montrent une diminution des handicaps majeurs à six mois avec une stratégie libérale par rapport à la stratégie restrictive».

Ces résultats sont d’autant plus intéressants qu’il s’agit non pas d’un nouveau médicament expérimental ou de technologies sophistiquées, mais d’une stratégie toute simple qui peut être mise en œuvre n’importe où dans le mode, a rappelé le docteur Turgeon.

Il s’agit aussi de la toute première intervention qui montre une amélioration des issues cliniques dans une telle situation, a-t-il rappelé.

«Notre arsenal d’interventions est extrêmement limité et vise beaucoup plus à prévenir des lésions cérébrales secondaires qu’autre chose, a indiqué le docteur Turgeon. On voit le traumatisme cérébral comme un événement unique, mais on sait que dans les premiers jours il y a des zones de pénombre. Donc probablement (qu’avec notre intervention) on protège le tissu qui est très malade de se détériorer encore plus.»

Les résultats de cette étude ont été publiés par le New England Journal of Medicine, qui est possiblement la publication médicale la plus influente de la planète. Le docteur Turgeon a aussi eu l’occasion de les présenter dans le cadre du Critical Care Reviews Meeting, une rencontre internationale prestigieuse destinée aux soins intensifs.

Maintenant que les résultats ont été dévoilés publiquement, il revient à la communauté médicale de décider de la manière dont ils seront utilisés, a dit le docteur Turgeon, mais «ce sont clairement des résultats qui vont mener à des changements de pratique».

«Personnellement, lundi quand je vais revenir dans l’unité, c’est sûr que je vais transfuser mes patients qui ont un traumatisme crânien modéré ou grave à des seuils beaucoup plus élevés que ce que je faisais avant», a-t-il conclu.

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