Obésité: plaidoyer pour un accès plus simple aux médicaments

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
Obésité: plaidoyer pour un accès plus simple aux médicaments

MONTRÉAL — Perdre du poids quand on est en situation d’obésité n’est pas une simple question de volonté et de modification des habitudes de vie, rappelle une experte du CHU Sainte-Justine qui plaide pour un accès plus facile à des molécules, comme le sémaglutide, qui pourraient donner à ces patients le petit coup de pouce supplémentaire dont ils ont besoin.

«L’utilisation hollywoodienne du sémaglutide a vraiment brimé son utilisation», a déploré la docteure Mélanie Henderson, une pédiatre endocrinologue au CHU Sainte-Justine.

«Nous, ce qu’on veut, c’est traiter les enfants chez qui la modification des habitudes de vie demeure inadéquate pour améliorer leurs trajectoires en termes de (…) santé métabolique. Ce n’est pas pour la jeune de 18 ans qui veut entrer dans sa robe de bal, ce n’est pas pour les superstars qui veulent bien paraître sur le tapis rouge.»

Les mécanismes homéostatiques du corps, a-t-elle expliqué, viendront toujours défendre le poids le plus élevé. De manière très résumée, se croyant en péril, le corps se défend avec des mesures qui vont à l’encontre de la perte de poids, comme en augmentant la faim ressentie.

Certains patients ont donc besoin d’un petit «coup de pouce» supplémentaire, a expliqué la docteure Henderson.

«Il y a des jeunes, comme des adultes, qui malgré leurs efforts pour améliorer leurs habitudes de vie et vraiment favoriser un poids santé n’y arrivent tout simplement pas», a dit la docteure Henderson.

Le sémaglutide est utilisé depuis plusieurs années dans le traitement du diabète de type 2. On a toutefois réalisé au cours des dernières années que la molécule peut aider à perdre du poids de manière considérable en augmentant la sensation de satiété, ce qui explique toute la frénésie actuelle qui l’entoure.

Voici enfin le Saint-Graal, une manière de maigrir sans faire le moindre effort! Absolument pas, dit la docteure Henderson.

«Ce n’est pas une molécule miracle, (perdre du poids) ça ne se fait pas sans changer nos habitudes de vie, il faut vraiment toujours travailler, a-t-elle ajouté. Ça demeure un constant combat d’améliorer nos habitudes de vie, mais il reste que ça peut vraiment faire une grosse différence dans la vie d’un jeune ou d’un adulte.»

Ses collègues et elle ne sont donc absolument pas en faveur d’une libéralisation absolue de l’accès au sémaglutide pour tous ceux qui en feraient la demande, par exemple pour perdre quelques kilos avant un voyage au Mexique.

Il serait pourtant possible de baliser l’utilisation du sémaglutide à partir de critères médicaux sérieux, croit-elle, comme on le fait avec l’hormone de croissance, une autre molécule très dispendieuse.

«On a des consignes très spécifiques sur comment prescrire l’hormone de croissance, a souligné la docteure Henderson. C’est comme ça qu’on pourrait s’assurer qu’il n’y a pas d’abus, parce que ce n’est pas ça qu’on veut. La vaste majorité des médecins n’auraient aucun intérêt à utiliser ça de façon inadéquate.»

Rapport de l’INESSS

L’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) s’est récemment penché, à la demande du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, sur les modalités qui pourraient encadrer un éventuel remboursement du sémaglutide par le régime public d’assurance médicament.

«Le présent document ainsi que les propositions qu’il énonce ont été rédigés en réponse à une demande du ministère de la Santé et des Services sociaux afin de soutenir ses réflexions concernant la mise en œuvre d’un projet pilote sur l’intégration de la pharmacothérapie dans le traitement de l’obésité», peut-on ainsi lire dans le rapport publié par l’INESSS.

D’une durée de deux ans, le projet envisagé par le MSSS et sur lequel l’INESSS s’est penché permettrait à un millier de personnes vivant avec l’obésité de bénéficier d’une prise en charge interdisciplinaire incluant la pharmacothérapie, ajoute-t-on. À terme, «le projet pourrait permettre au MSSS de prendre position sur le maintien ou non de cette offre de services et d’en définir la forme le cas échéant», indique le document.

L’INESSS s’est notamment intéressé aux médicaments contre l’obésité à considérer; aux critères d’admissibilité; à la durée du projet pilote; et aux indicateurs de suivi qu’il serait pertinent de colliger afin d’apprécier la faisabilité, les coûts, les retombées et les enjeux liés à l’usage ciblé de la pharmacothérapie pour traiter l’obésité.

Mais ce projet-pilote, si jamais il va de l’avant, ne concernera que la population adulte.

«Concernant la population pédiatrique, les adolescents de 12 ans et plus ont fait l’objet de peu d’études cliniques et très peu de juridictions ont approuvé l’usage de la pharmacologie dans cette tranche d’âge, indique le rapport de l’INESSS. Par ailleurs, aucune étude pharmacoéconomique n’a été repérée pour évaluer l’efficience des médicaments contre l’obésité chez l’enfant et l’adolescent.»

Plusieurs membres du comité ont enfin soulevé des inquiétudes quant à la durée proposée de deux ans pour le projet-pilote. Ils craignent par exemple que l’arrêt automatique du traitement pharmacologique à la fin des deux ans prévus du projet puisse entraîner des conséquences néfastes sur la santé des participants (regain de poids, atteinte à la qualité de vie), notamment pour ceux en attente d’une greffe.

Ils estiment que «cette durée de suivi pourrait (…) ne pas permettre d’apprécier pleinement les bénéfices cliniques à moyen ou à plus long terme». On pourrait alors envisager une durée allant jusqu’à cinq ans pour compléter l’évaluation des bénéfices cliniques de la pharmacothérapie.

Une question de coûts

Un traitement au sémaglutide peut coûter jusqu’à 400 $ ou 500 $ par mois et n’est donc pas à la portée de tous. Différents obstacles bureaucratiques, mais probablement aussi budgétaires, font que la molécule n’est actuellement pas remboursée par le régime public d’assurance médicament du Québec, alors qu’elle l’est en Ontario.

Cette situation peut donc engendrer un accès variable à cette médication, en favorisant notamment les personnes qui peuvent en assumer les frais, qui sont couvertes par une assurance privée ou qui ont un diabète de type 2.

«Peu de personnes ont 400 $ par mois dans leur budget, a dit la docteure Henderson. Et quand on sait que l’obésité affecte de façon plus importante les gens qui sont moins nantis financièrement, on vient d’augmenter les iniquités en matière de santé.»

La réticence du gouvernement à rembourser le sémaglutide pourrait donc s’expliquer, du moins en partie, par une crainte de voir les coûts exploser si on commence à le prescrire «comme de l’eau» à tout un chacun, croit la spécialiste. «Il faut qu’on ait des critères qui sont médicalement définis et non définis par le coût à la société», a-t-elle dit.

On doit aussi se poser la question suivante, estime la docteure Henderson: combien coûtera au système de santé et à la société un enfant pris en charge à l’âge de 8 ans pour un problème d’obésité qui le suivra pendant toute sa vie?

«Le diabète de type 2 qui s’installe chez l’enfant, c’est une maladie beaucoup plus agressive que ce qu’on voit chez l’adulte, a-t-elle rappelé. Donc si on réussit à prévenir ces maladies-là tôt dans la vie, on gagne non seulement à prévenir cette maladie-là, mais toutes les complications par exemple associées au diabète de type 2.

«Il faut qu’on voie plus loin que juste dans l’immédiat par rapport à ça. Le risque-bénéfice ne s’étale pas sur une période de trois mois, il s’étale sur un long cours chez l’enfant. C’est sur le cycle de vie qu’on peut envisager les bénéfices.»

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