Octroi de contrats à McKinsey: Ottawa a «fréquemment» violé ses propres politiques

Michel Saba, La Presse Canadienne
Octroi de contrats à McKinsey: Ottawa a «fréquemment» violé ses propres politiques

OTTAWA — Le gouvernement fédéral a «fréquemment» omis de respecter ses propres politiques dans l’octroi de contrats de services professionnels à la firme McKinsey & Company, conclut la vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan.

«Le non-respect fréquent des politiques et des lignes directrices par les organisations fédérales était évident à la lumière des nombreux cas où l’évaluation des soumissions était absente et où le recours à une approche non concurrentielle était mal justifié», écrit-elle au terme d’un rapport dévastateur déposé mardi à la Chambre des communes.

Mme Hogan et son équipe se sont penchées sur les 97 contrats attribués à la firme de consultants entre 2011 et 2023. Leur valeur totalise 209 millions $, dont 200 millions $ ont été dépensés.

Son bureau a noté que 9 des 10 ministères et que 8 des 10 sociétés d’État impliquées n’ont pas suivi un aspect ou un autre de leurs politiques en matière d’approvisionnement.

Parmi les 28 contrats octroyés dans le cadre d’un processus concurrentiel, la documentation et l’évaluation des soumissions étaient insuffisantes pour justifier le choix de la firme dans dix cas.

Dans quatre cas, la stratégie d’approvisionnement avait été «structurée de manière à simplifier l’attribution du contrat à McKinsey & Company», notamment en l’ajustant après avoir appris que la firme n’était pas un fournisseur préqualifié ou en ne s’ajustant pas lorsque des soumissionnaires ont signalé que les critères leur paraissaient trop restrictifs si bien que seul McKinsey a présenté une offre.

Pas moins de 71 % des contrats, soit 69 d’entre eux, pour une valeur totale de 118 millions $, étaient des marchés non concurrentiels. Là encore, la vérificatrice générale a constaté une «absence fréquente de justification» de cette méthode.

Mme Hogan note au passage que les organisations ont été incapables de justifier le recours à un processus non concurrentiel dans 18 des 19 cas où des contrats ont été passés dans le cadre d’un mécanisme d’«offre à commandes principale et nationale», soit celui qui permet à toutes les organisations fédérales d’acheter des biens ou des services d’un fournisseur selon des modalités et un prix préalablement négociés.

D’ailleurs, Services publics et Approvisionnement Canada, censé agir en tant qu’«expert» en passation de marchés au gouvernement, «n’a pas remis en question les décisions» des organisations fédérales en attribuant des contrats en leur nom.

«Petits amis libéraux»

Lors de la période des questions, le chef conservateur Pierre Poilievre a, sans appuyer ses dires, accusé le gouvernement de favoriser «l’entreprise de consultation préférée» du premier ministre Justin Trudeau et les «petits amis libéraux».

M. Trudeau lui a répondu que des mesures sont en place pour s’assurer que des «des règles plus rigoureuses et transparentes» encadrent l’octroi de contrats.

Le chef bloquiste Yves-François Blanchet, qui s’exprimait dans le foyer de la Chambre des communes, a lui aussi fustigé la «volonté, (…) proximité, (…) promiscuité, (…) intimité» entre le gouvernement et McKinsey.

«McKinsey est une catastrophe historique avec une forte signature libérale et une certaine signature conservatrice, a-t-il tranché. Il faut mettre un terme à ça. Il faut resserrer les règles. Ça c’est très clair.»

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, est allé dans la même veine, voyant dans ce rapport une autre preuve de la volonté des libéraux d’«aider ses amis (…) et ignorer les règles». Il a suggéré qu’Ottawa ait davantage recours à ses propres fonctionnaires plutôt qu’à des consultants externes.

La recommandation qui en cache d’autres

La vérificatrice Hogan ne fait qu’une seule recommandation dans son rapport, mais elle laisse entendre que la liste pourrait être longue.

«Plutôt que de répéter ces recommandations, nous encourageons les ministères, les organismes et les sociétés d’État à mettre en œuvre les recommandations découlant de ces audits et de ces examens antérieurs», lâche-t-elle.

Mme Hogan recommande ainsi à toutes les organisations fédérales de mettre en œuvre un processus proactif pour recenser les conflits d’intérêts dans le cadre du processus d’approvisionnement et d’en conserver une copie dans le dossier accompagnant l’achat avec les déclarations de conflits d’intérêts. Elles ont toutes indiqué à son bureau qu’elles acceptent la recommandation.

Devant les journalistes, le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement du Canada, Jean-Yves Duclos, a réitéré que ce rapport guidera le gouvernement dans son travail «déjà en cours» afin que les Canadiens en aient pour leur argent.

Appelée à réagir, Mme Horgan a déclaré qu’il est normal qu’Ottawa ait commencé à poser des gestes. «On est (…) le troisième bureau à enquêter sur les contrats octroyés à McKinsey», a-t-elle noté en conférence de presse.

Selon elle, la formation est un bon endroit où débuter le travail. Les règles sont nombreuses et très complexes, a-t-elle expliqué, ajoutant du même souffle qu’elles «sont là pour assurer l’équité et la transparence et un bon retour sur les fonds publics dépensés».

De manière générale, elle estime que la fonction publique a du pain sur la planche, mais elle n’exclut pas de réaliser une enquête qui ratisserait bien plus large.

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