Ottawa songe à exempter Hydro-Québec du décret de protection du caribou

Michel Saba, La Presse Canadienne
Ottawa songe à exempter Hydro-Québec du décret de protection du caribou

OTTAWA — Le gouvernement fédéral envisage d’exempter les installations et les projets d’Hydro-Québec de son décret de protection du caribou forestier en vertu de la Loi sur les espèces en péril.

«C’est fort probable», a confirmé vendredi à La Presse Canadienne Kaitlin Power, l’attachée de presse du ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, confirmant ainsi une information d’abord rapportée par Radio-Canada.

Lors d’une conférence de presse à Trois-Rivières, en Mauricie, le ministre Guilbeault a assuré qu’«il n’est pas question» de pénaliser la transition énergétique et l’économie verte et que le gouvernement Trudeau «voit d’un très bon œil» des exemptions pour des projets comme ceux d’Hydro-Québec.

M. Guilbeault a réitéré que sa préférence demeure de conclure une entente avec le gouvernement du Québec plutôt que de faire adopter un décret.

«Moi, j’ai l’obligation légale, si l’habitat d’une espèce en péril n’est pas protégé dans une province, d’intervenir, donc d’aller au cabinet et de demander un décret d’urgence», a-t-il dit.

Malgré une succession d’annonces pour protéger l’espèce, Québec n’a pas présenté de stratégie de protection pour toutes les populations de caribous qui permettrait d’atteindre l’objectif prévu dans une entente avec Ottawa.

«Le gouvernement du Québec s’est engagé depuis 2016 à présenter un plan pour le rétablissement du caribou. Ça fait huit ans! Ce n’est pas comme si on n’avait pas donné la chance au coureur, a dit le ministre. (…) Nous, tout ce qu’on cherche à faire, c’est peut-être lui donner une petite tape dans le dos pour qu’on arrive à la ligne d’arrivée.»

La nouvelle arrive au moment où le comité de l’environnement et du développement durable continue d’entendre différents intervenants sur le décret, avec les témoignages vendredi de groupes de protection de la nature, une scierie et une Première Nation.

Les présidents de Granulco et de l’Alliance forêt boréale ont exprimé leur opposition à la mesure proposée par Ottawa qui, selon eux, ne tient pas compte des répercussions économiques.

«Vous devez comprendre qu’aucune compensation financière ne peut remplacer le maintien de la vitalité socio-économique d’une région déjà dévitalisée comme celle dans laquelle nous vivons, soit la Haute-Côte-Nord», a dit le président de Granulco, Bastien Deschênes.

Le chef de la Première Nation d’Essipit, Martin Dufour, a quant à lui défendu le projet de décret. Il a indiqué que la communauté est copropriétaire d’usines de Granulco et propriétaire de BMR aux Escoumins.

«On n’est pas contre l’industrie, pas du tout. L’intention d’Essipit a toujours été d’avoir un équilibre entre la protection, les emplois et le développement», a-t-il soutenu.

Le Bloc québécois a profité de la rencontre du comité pour présenter et faire adopter une motion pour que les parlementaires étudient «les effets potentiels que présente un décret d’urgence sur le déploiement de projets d’énergie propre et sur les infrastructures nécessaires au bon fonctionnement de ces réseaux».

Le député de Jonquière et porte-parole bloquiste en matière de ressources naturelles et énergie, Mario Simard, qui a déposé la motion, plaide pour «une approche globale et intégrée».

Il y écrit que «la protection de toute espèce menacée est intimement liée à la protection de l’environnement ainsi qu’à la capacité de mettre de l’avant des stratégies vertes de remplacement des énergies fossiles par des projets d’énergie propre comme l’éolien, la biomasse et l’hydroélectricité».

La population de caribous est en déclin au Québec depuis plusieurs années et l’exploitation forestière est la principale cause de cette précarité, en raison notamment des chemins forestiers qui détruisent l’habitat et favorisent le déplacement des prédateurs naturels du caribou comme l’ours et le loup.

Au cabinet du ministre Guilbeault, on dit travailler à «définir une carte qui assure la protection de zones à haute valeur écologique pour le caribou et qui minimise les impacts sur certains secteurs».

Une source gouvernementale qui n’était pas autorisée à s’exprimer publiquement a expliqué que les premières cartes ne prenaient pas en compte des informations connues du gouvernement du Québec et d’Hydro-Québec puisqu’elles n’avaient pas été partagées avec Ottawa.

Mais les choses changent, dit-on. Hydro-Québec est à finaliser ses cartes qui indiquent ses chemins et ses projets. Le producteur d’énergie renouvelable Boralex a pour sa part envoyé ses cartes au gouvernement fédéral.

Devant les élus fédéraux, lundi, une mairesse de la Côte-Nord a estimé qu’un décret pour protéger le caribou équivaudrait à un «drame» pour l’économie de sa communauté.

À l’inverse, le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Ghislain Picard, y a plutôt vu une mesure nécessaire pour assurer la survie de hardes menacées. Tout comme un autre chef autochtone, il a mentionné que la relation entre les peuples autochtones et le caribou est une question d’identité.

Une consultation sur le projet de décret d’Ottawa est en cours jusqu’au 15 septembre et doit mener à la version finale.

Le gouvernement de François Legault a décidé de ne pas participer à la consultation. Il estime que ses propres mesures de protection de l’espèce en déclin portent ses fruits.

À ce sujet, l’attachée de presse du ministre Guilbeault a affirmé qu’Hydro-Québec «commence» à participer aux consultations, ce qui permet de prendre en compte ses projets, et que jusqu’à présent le Québec refusait de fournir ses cartes.

Selon les calculs du gouvernement provincial, la décision d’Ottawa engendrera la perte d’«un minimum» de 2000 emplois dans les zones actuellement projetées.

– Avec des informations d’Émilie Bergeron

Partager cet article
S'inscrire
Me notifier des
guest
0 Commentaires
plus ancien
plus récent plus voté
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires