MONTRÉAL — Une collaboration entre plusieurs grandes institutions québécoises voit Polytechnique Montréal accueillir dans ses locaux la sonde atomique tomographique la plus puissante en Amérique du Nord, a appris en primeur La Presse Canadienne.
Cette sonde permet aux chercheurs d’identifier la composition d’un échantillon atome par atome, mais aussi de cartographier avec précision l’emplacement de chaque atome.
Les applications pratiques potentielles sont multiples, du développement de nouveaux traitements contre l’ostéoporose à la mise au point de trains d’atterrissage plus robustes.
«On ne fait pas seulement jouer aux Legos avec les atomes, a dit le directeur scientifique de la plateforme PolyAPT, le professeur Oussama Moutanabbir, du département de génie physique de Polytechnique Montréal. Si on veut comprendre la position des atomes, ce n’est pas juste pour le (plaisir de le) faire, c’est vraiment pour comprendre la performance d’un matériau et pourquoi il va se dégrader.»
La sonde atomique tomographique Invizo 6000 analyse la composition atomique d’un échantillon en retirant ses atomes un à un pour générer une image tridimensionnelle de l’objet à un niveau de détails inégalé. Un spectromètre de masse intégré identifie non seulement la nature de chaque atome, mais aussi leur forme isotopique. L’outil est si sensible qu’il reconnaît les plus petits des atomes, même ceux d’hydrogène et de lithium.
L’instrument pourrait permettre de développer des matériaux de pointe destinés à des applications dans les technologies de l’information quantique; la nanoélectronique; l’optoélectronique; la conversion et le stockage d’énergie; les alliages métalliques pour l’aérospatiale; les technologies biointégrées; et les biomatériaux.
La technologie permet aussi d’envisager la conception de nouvelles générations de semiconducteurs et de matériaux quantiques sensibles aux variations atomiques et aux impuretés. L’appareil ouvre enfin la voie à une meilleure connaissance de structures fines, comme celles à l’intérieur de batteries ou de tissus biologiques comme des os.
L’acquisition d’un appareil aussi sophistiqué, on s’en doute, ne s’est pas faite en claquant des doigts. Le processus a été enclenché il y a sept ans et a éventuellement nécessité un partenariat entre l’Université de Montréal, l’École de technologie supérieure, l’Université McGill et l’Université de Sherbrooke pour rassembler les millions de dollars nécessaires.
Les échantillons que la sonde analyse sont environ mille fois plus petits qu’un cheveu humain. Taillés en forme d’aiguille, ils sont congelés à une température de – 230 degrés Celsius et soumis à un champ électrique intense. Les pulsations d’un laser permettent ensuite de «soulever» les atomes à la surface pour qu’on puisse les analyser.
«Ces champs électriques intenses rendent les atomes à la surface ‘lousses’, a expliqué le professeur Mouttanabir. Ensuite ça prend quelques centaines de pulses (de laser) pour arracher l’atome, et une fois l’atome arraché il va être propulsé vers le détecteur.»
Le temps que met l’atome à se rendre jusqu’au détecteur permet aux chercheurs d’en déterminer la masse et l’identité chimique. L’endroit où l’atome frappe le détecteur permet quant à lui de calculer où il se trouvait à la surface de l’échantillon.
L’appareil a déjà accouché de résultats qui enflamment l’imagination, comme cet échantillon de météorite que le professeur Mouttanabir et ses collègues ont analysé.
«On a découvert que le météorite précède la création du système solaire, donc qu’il a plus de cinq milliards d’années», a confié le chercheur.
Un des collaborateurs du professeur Mouttanabir travaille quant à lui, en partenariat avec l’industrie, à la mise au point de la prochaine génération de scanneurs à rayons X.
Pour repérer les cancers le plus tôt possible, a-t-il dit, on a besoin de détecteurs très efficaces. Et un élément-clé de cette efficacité est l’homogénéité à l’échelle atomique des matériaux utilisés pour les examens avec des rayons X.
Le nouvel appareil, a dit le professeur Mouttanabir, permet de «voir où les atomes sont placés, et leur position et leur distribution va dicter la performance des détecteurs». Et si le matériau utilisé est plus uniforme, on aura besoin de moins de rayons X pour obtenir le même résultat, a-t-il précisé.
«C’est important aussi pour tout ce qui a trait à la sécurité, a complété le professeur Mouttanabir. Bientôt, dans les aéroports, on aura des détecteurs (si performants) qu’on n’aura plus besoin de vider nos sacs.»
L’acquisition de cette machine permet d’une certaine manière au professeur Mouttanabir de «boucler la boucle», lui dont la carrière scientifique a été en quelque sorte lancée par une photo floue d’un atome vue dans un livre de science quand il était tout jeune.
«Pour moi, ça a été un choc. On peut voir un atome?, a-t-il raconté en conclusion. Ensuite j’ai toujours été fasciné par le contrôle de la position de l’atome. Dans tous mes laboratoires, on veut créer des matériaux un atome à la fois. On prend des sacs d’atomes, on les secoue, et si on a les bonnes conditions, les atomes vont s’organiser et créer quelque chose d’utile.»