MONTRÉAL — Il faudra investir massivement, et même quadrupler le financement actuel, si le gouvernement veut réussir la stratégie nationale de soutien à domicile qu’il compte mettre en place éventuellement. Selon une nouvelle étude de l’IRIS, ce virage nécessitera un financement annuel entre 7 et 11 milliards $, alors qu’actuellement 3 milliards $ y sont injectés.
Selon l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le modèle actuel devrait être décentralisé et cessé d’être dépendant du secteur privé. L’étude dévoilée jeudi indique que moins de 13 % des heures d’aide à domicile sont données par du personnel des établissements publics.
La ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, a décidé de faire du virage vers le soutien à domicile son cheval de bataille pour répondre aux enjeux liés au vieillissement de la population. Elle pilote le plan d’action gouvernemental 2024-2029 «La Fierté de vieillir», qui a été annoncé le printemps dernier.
L’état des lieux présenté dans ce plan indique que 20 490 personnes sont en attente d’un premier service en soutien à domicile au Québec, même si les heures de service en soutien à domicile ont augmenté de 63,9 % en quatre ans.
Les investissements par personne en soutien à domicile sont passés de 199 $ en 2012-2013 à 423 $ en 2022-2023. Mais il faut encore plus d’argent pour bien soutenir les aînés qui veulent vieillir à la maison, fait valoir l’auteure de l’étude de l’IRIS, Anne Plourde.
«Si on annonce une stratégie nationale de soutien à domicile sans qu’il y ait des sommes conséquentes qui sont investies, si on reste dans un modèle où les services sont fortement privatisés et fortement centralisés, confiés à la gestion de Santé Québec, on va continuer d’avoir de la difficulté à réussir le virage vers le soutien à domicile», dit-elle en entrevue.
Elle fait savoir qu’actuellement à peine 10 % des besoins en soutien à domicile sont comblés. «Si on ne fait pas ce virage vers le soutien à domicile, ça va coûter très cher. Les besoins en soins de longue durée, s’ils ne sont pas répondus à domicile, ils vont être répondus en hébergement et à l’hôpital», précise-t-elle.
La Coalition pour la dignité des aînés, qui regroupe six associations nationales représentant plus de 150 000 personnes aînées à travers le Québec, a déclaré que l’étude de l’IRIS est «une autre démonstration de l’ampleur des besoins à combler pour concrétiser le virage vers le maintien à domicile promis à maintes reprises par le gouvernement».
«Quand on parle d’un milliard de dollars à couper dans le réseau de la santé alors qu’à peine 10 % des besoins en soutien à domicile sont comblés actuellement, les aînés sont en droit de s’inquiéter que le grand virage soit en réalité un virage au ralenti», a commenté dans un communiqué Solange Tremblay, porte-parole de la Coalition pour la dignité des aînés.
À long terme, le retour sur cet investissement sera payant pour le Québec, estime Mme Plourde. Elle prédit que la population vieillissante sera en meilleure santé puisque ses besoins seront pris en charge à domicile. «On n’aura pas besoin de construire des dizaines de milliers d’unités d’hébergement pour ces personnes», mentionne-t-elle.
S’inspirer des modèles scandinaves
La chercheuse a analysé les pays scandinaves, notamment le Danemark, la Norvège et la Suède, où en fonction de la proportion de leur PIB, ces pays investissent quatre fois plus que le Québec en soutien à domicile. «Mais leurs dépenses totales de santé sont beaucoup moins élevées que les nôtres en comparaison du poids de leur économie», ajoute-t-elle.
Au Canada et au Québec, peu de données sont disponibles sur les dépenses personnelles des ménages pour des services de soutien à domicile. Néanmoins, des données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montrent que le Canada est l’un des pays où les ménages consacrent la proportion la plus élevée de leurs dépenses de santé pour des soins de longue durée, ce qui inclut des services d’hébergement et de soutien à domicile.
«Au Québec, on a une des populations les plus vieillissantes au monde et malgré cela, on est sous la moyenne de l’OCDE pour la proportion de notre PIB consacrée aux dépenses en soins de longue durée. Il y a un rattrapage très important à faire», affirme Mme Plourde.
Mais même si le gouvernement investit massivement, comment réussir le virage vers le soutien à domicile dans le contexte de pénurie de personnel? Selon la chercheuse, avec les sommes adéquates dans le réseau public, la main-d’œuvre qui a migré vers le secteur privé sera tentée de revenir au public puisque les établissements seront en mesure d’offrir des conditions de travail attrayantes.
Surtout pas chapeauté par Santé Québec, dit l’IRIS
L’IRIS est d’avis que la gestion des services à domicile ne doit pas être confiée à Santé Québec. «Déjà, avec les CISSS et les CIUSSS il y a eu une forte centralisation et une bureaucratisation des services, notamment en soutien à domicile. Et ça s’est traduit par une détérioration de la qualité des services, par une détérioration de l’accès aux services aussi», soutient Mme Plourde.
Elle poursuit en disant que «cette centralisation est venue avec l’imposition de méthodes de gestion très hiérarchiques, très axées sur des statistiques de reddition de comptes». Selon l’experte en politique de santé, ces méthodes ont eu pour effet de réduire l’autonomie des professionnels, de détériorer les conditions de travail et de déshumaniser les services.
«On considère qu’avec la création de Santé Québec on va encore plus loin dans cette direction, avec une centralisation encore plus grande des services», indique Mme Plourde. Elle souligne que les pays qui sont considérés comme des modèles en matière de soutien à domicile ont mis en place des services décentralisés, davantage gérés par des milieux locaux.
L’IRIS croit que le Québec devrait aller dans cette direction en confiant ces services à de nouvelles instances locales avec une gestion de proximité pour être en mesure de bien adapter les services aux besoins de la population.
«On propose de confier la prestation des services aux CLSC, donc que ce soit les employés des CLSC qui soient responsables de donner les services parce qu’actuellement, ces services sont sous-traités à des fournisseurs privés. Et on recommande de confier la gestion de ces services à des pôles sociaux, donc des instances démocratiques locales qui seraient réparties sur l’ensemble du territoire québécois», détaille Mme Plourde.
Pour l’aspect de gestion, il s’agirait de la création de nouvelles instances qui seraient élues démocratiquement. Dans la vision de l’IRIS, des représentants de la population, des professionnels et des gestionnaires feraient partie de ces groupes de gestion. Les CLSC devraient rendre des comptes à ces instances.
La Coalition pour la dignité des aînés voit d’un bon œil la proposition que la prestation des soins à domicile soit faite par le personnel des CLSC, soulignant que plusieurs organisations le demandent depuis des années. «Nos CLSC doivent être plus que des guichets d’information. On doit les doter des ressources spécialisées adéquates pour qu’ils soient en mesure d’évaluer les besoins des aînés, d’offrir le soin requis s’il est plus efficace de le faire directement, sinon de référer l’aîné au bon professionnel ou au bon prestataire de soins et services à domicile», fait valoir Mme Tremblay.
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