OTTAWA — Le leader néo-démocrate Jagmeet Singh arrive à une conclusion aux antipodes de la co-cheffe du Parti vert, Elizabeth May, après avoir lu le même rapport non caviardé sur l’ingérence étrangère: il se dit «plus inquiet qu’hier» et «pas soulagé».
«Je ne suis pas rassuré», a-t-il déclaré jeudi dans le foyer de la Chambre des communes, exprimant une opinion contraire à celle formulée deux jours plus tôt par Mme May.
M. Singh n’a révélé pratiquement aucune information qui n’est pas déjà mentionnée dans la version publique du document faisant état d’allégations voulant que «certains parlementaires» aient, «sciemment ou par ignorance volontaire», participé à des manœuvres perturbatrices d’États étrangers. Il s’est dit «ciblé» par des activités d’ingérence, sans fournir de détails.
Le rapport – publié la semaine dernière dans un format expurgé de nombreuses phrases pour des raisons de protection de la sécurité nationale – a été produit par le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR), où siègent des sénateurs et des députés de chacune des principales formations politiques, tous astreints au secret à perpétuité.
Les auteurs ont écrit avoir «vu des renseignements inquiétants selon lesquels certains parlementaires sont, aux dires des services du renseignement, des participants mi-consentants ou volontaires aux efforts d’ingérence des États étrangers dans la politique du pays».
Le CPSNR a donné en exemple des gestes allégués celui d’«accepter sciemment ou par ignorance volontaire des fonds ou des avantages de missions étrangères ou de leurs mandataires qui sont passés par plusieurs mains ou sont autrement déguisés pour en dissimuler la source».
Plutôt que d’offrir des éclaircissements sur les «certains parlementaires», M. Singh a voulu s’en tenir à son sentiment à l’égard de ce qu’il décrit comme un laxisme de la part du premier ministre Justin Trudeau.
«C’est clair qu'(il) a su l’information, mais il n’a pas agi», a-t-il dit. Le chef néo-démocrate s’en est aussi pris au leader de l’opposition officielle conservatrice, Pierre Poilievre, puisqu’il ne s’est pas doté de la même cote de sécurité que lui – en consentant au secret à vie -, une étape nécessaire pour voir le rapport sans caviardage.
«C’est clair que les deux, Justin Trudeau et Pierre Poilievre, veulent protéger leurs partis au lieu de défendre le pays», a dit M. Singh, qui a ainsi réitéré une ligne d’attaque déjà maintenue par ses troupes dans les jours précédents.
Il n’a pas voulu préciser si les «certains parlementaires» sont des députés qui complètent présentement un mandat aux Communes ni à quelles formations politiques ils sont affiliés.
«Je ne peux pas nommer des détails», a-t-il affirmé. Il n’a pas non plus donné d’ordre de grandeur sur le nombre de personnes qui seraient mentionnées.
Mardi, Mme May, qui se plie aux mêmes contraintes de confidentialité que M. Singh, a pourtant signalé que «moins d’une poignée» de députés étaient nommés dans le rapport. Selon elle, «aucun d’entre eux ne pourrait être décrit comme ayant décidé de trahir sciemment le Canada en faveur d’un gouvernement étranger».
Elle a affirmé qu’un ancien député non identifié est accusé dans le rapport d’avoir «fourni proactivement» à un agent étranger «des informations reçues à titre confidentiel».
M. Singh, qui avait promis d’exclure tout membre de son caucus «nommé» pour avoir sciemment collaboré avec des États étrangers dans des efforts d’ingérence, a soutenu jeudi qu’il n’avait pas de raison d’entreprendre de telles actions.
«Je crois que nous devons trouver une façon de laisser savoir aux députés nommés dans ce rapport que nous savons ce qu’ils font», a-t-il lancé, laissant ainsi entendre que ceux-ci siègent actuellement aux Communes.
Or, M. Singh a refusé de confirmer cette interprétation à une journaliste qui lui a directement posé la question. Même chose quand une autre journaliste lui a demandé s’il tenterait de convaincre un ou plusieurs autres chefs de parti de montrer la porte à des députés dans leurs rangs.
Blanchet critique Singh et May
Il reste à voir quelles impressions et informations sera en mesure de partager le chef bloquiste, Yves-François Blanchet. Il a fait savoir jeudi soir qu’il a décidé de compléter le processus de cote de sécurité afin de lire le rapport intégral du CPNSR, quelques jours après avoir indiqué qu’il envisageait cette avenue.
M. Blanchet a déclaré entreprendre cette démarche pour «contribuer en connaissance de cause à la sortie d’une crise dont plusieurs chefs ne semblent pas prendre la mesure».
Il reproche à Mme May et à M. Singh d’avoir «révélé indirectement le contenu» frappé du sceau de la confidentialité. À son avis, ni l’un ni l’autre «ne semble avoir été digne de l’accréditation de sécurité qui leur a été octroyée».
Parallèlement, le projet de loi C-70 contenant des mesures qui visent à contrer l’ingérence étrangère a été adopté unanimement par la Chambre et envoyé au Sénat. Les sénateurs ont déjà fait un travail préalable à l’étude qu’ils doivent compléter afin que la pièce législative puisse devenir réalité.
C-70 vise notamment à créer de nouvelles infractions pour dissuader des acteurs de mener des activités d’ingérence au profit d’entités étrangères comme Pékin.
Le projet de loi permettrait également au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) de divulguer des informations sensibles au-delà des couloirs du gouvernement ainsi que de créer un registre des agents étrangers réclamé de longue date par plusieurs.