Toutes les façons d’aider les réfugiés ukrainiens ne se valent pas

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
Toutes les façons d’aider les réfugiés ukrainiens ne se valent pas

MONTRÉAL — Les appels aux dons pour aider les réfugiés d’Ukraine se multiplient et la générosité des Québécois et des Canadiens ne se dément pas, mais il faut se méfier de certaines de ces sollicitations. 

«Très souvent, ce besoin de donner va un peu embrouiller notre analyse critique des options qu’on a devant nous, donc on va y aller au plus simple avec ce qu’on voit « popper » sur les réseaux sociaux. Évidemment, il y a là beaucoup d’arnaques, beaucoup d’initiatives qui sont carrément mal intentionnées, qui vont probablement faire en sorte que votre argent soit utilisé complètement à d’autres fins, voire même usurper votre identité éventuellement», prévient François Audet, expert en aide humanitaire au département de management de l’UQAM.

«La spontanéité, la solidarité qu’on observe est saine et rassurante, poursuit-il. Mais quand vous décidez de donner, quand vous décidez de faire ce geste de solidarité, il faut comme n’importe quoi magasiner et faire des recherches afin d’évaluer le sérieux de l’initiative. Si vous avez un doute, ne donnez pas», ajoute-t-il.

«Partout où il y a une possibilité de frauder, il y a des fraudeurs», renchérit de son côté Richard Leclerc, de l’Université de Montréal et fondateur de l’agence Publici-Terre, qui se consacre aux grandes causes humanitaires.

«Il faut être sélectif et vérifier. Il y en a des arnaques. La crainte que j’ai maintenant, c’est qu’il y ait des gens qui réagissent trop facilement, trop rapidement, sans vérifier et qui, finalement, donnent beaucoup d’argent à des organisations qui ne sont pas toujours bien honnêtes», ajoute-t-il.

Les deux experts font valoir qu’on ne se trompe pas en ciblant des organismes crédibles et bien établis comme la Croix-Rouge, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), Médecins sans frontières et ainsi de suite.

«Ce sont des initiatives qui sont rigoureuses, professionnelles et faites avec des organisations qui sont déjà sur place, qui ont des moyens de connecter avec les réseaux de réfugiés ukrainiens qui vont arriver ici ou qui sont aux frontières de l’Ukraine en Europe», fait valoir François Audet. 

Les profiteurs

Ces avenues sont de loin préférables aux sollicitations qui apparaissent soudainement sur les réseaux sociaux où l’on vous invite à acheter tel ou tel article et qu’on promet de verser les profits de la vente aux réfugiés.

«Des objets vendus par Pierre, Jean, Jacques, c’est un peu inquiétant, affirme en riant Richard Leclerc. Dans ce cas comme dans d’autres, il y a des gens qui tentent d’exploiter des situations. Il faut vraiment, quand on veut répondre à une demande quelle qu’elle soit au niveau humanitaire, aller à la source: qui fait la demande et est-ce que c’est une organisation crédible.»

Il fait valoir qu’à la base, une demande provenant d’une organisation sans but lucratif peut être rassurante, «mais même des organisations qui veulent frauder vont se donner le titre de « sans but lucratif »». 

Une des façons de reconnaître celles qui sont crédibles, dit-il, est de voir un nom de domaine qui se termine par .org. «Pour avoir un nom dans le domaine .org – je l’ai fait moi-même – il y a quand même des vérifications. Il faut montrer patte blanche. Je ne dis pas que c’est à l’épreuve de tout, mais il y a quand même une crédibilité qui est associée à un .org.»

La difficulté avec les dons de matériel

François Audet, de son côté, signale l’existence de ce qu’il appelle «des initiatives qui sont bien intentionnées, mais désorganisées. Des gens qui essaient d’organiser des collectes de fonds, des collectes de denrées, des collectes de matériel, mais qui n’ont aucune capacité de livrer ça aux victimes, aux populations réfugiées ou qui n’ont même pas de contacts là-bas non plus.» 

«Ce sont des gestes louables et bien intentionnés, mais qui vont rapidement se transformer en frustration pour les gens qui veulent donner, qui se mobilisent et qui pensent que ça va servir à des bonnes fins.»

Selon lui, il faut éviter à court terme les dons en matériel. «Pour le moment, il y a très peu de réfugiés physiquement arrivés sur le territoire canadien et, donc, il n’y a pas encore d’identification et d’évaluation des besoins. Est-ce que ces gens-là, par exemple, vont venir s’installer au Québec, en Ontario ou en Alberta? Si on fait une collecte d’objets à Baie-Comeau, alors que tout le monde arrive à Calgary, bonne chance avec ça.»

Quant aux dons en matériel destinés à être envoyés dans les pays européens où s’accumulent par millions les réfugiés ukrainiens, là aussi François Audet émet des réserves importantes. «C’est d’une grande complexité et il faut comprendre que les réfugiés là-bas sont en Europe où il y a déjà des chaînes d’approvisionnement. Même si on envoyait ça dans un geste de solidarité, ça ne ferait qu’encombrer la chaîne d’approvisionnement qui, actuellement, doit être organisée par les canaux d’aide officiels.»

Cela ne l’empêche pas pour autant de saluer l’initiative du policier de Longueuil à la retraite Mario Solari, qui a recueilli dimanche dernier quelque 500 boîtes de denrées et de médicaments destinées à la Pologne. «Ce monsieur est évidemment extrêmement bien intentionné», mais il note que la réponse a été tellement forte qu’elle complique l’organisation de l’envoi sur place.

Le meilleur don: le don de son temps

Quant aux dons qui viendraient soutenir l’accueil d’éventuels réfugiés au Canada, François Audet estime qu’il est encore trop tôt. «Pour le moment on ne connaît pas les besoins de ces populations. Est-ce qu’ils vont être pris en charge par des familles privées? Est-ce qu’ils vont être pris en charge par les gouvernements?» s’interroge-t-il.

«À court terme, je ne crois pas que ce soit utile parce que ça vient davantage du besoin de donner que nous avons, qui est naturel, et non pas des besoins évalués des populations qui vont éventuellement arriver au Canada.»

Se fiant sur sa propre expérience de parrain de réfugiés syriens, il invite les Québécois à faire d’abord don d’eux-mêmes quand arriveront des réfugiés ukrainiens.

«Quand les réfugiés syriens sont arrivés, ce qui a été très utile et qui m’a surpris, moi l’expert, c’est le temps. Ce qu’ils vont avoir besoin surtout, c’est qu’on les aide à ouvrir un compte en banque, à avoir un téléphone cellulaire pour communiquer avec leur famille restée là-bas, avoir accès à internet. Ces démarches-là, qui sont déjà compliquées pour nous qui habitons ici et qui savons comment ça fonctionne», affirme M. Audet.

«Pour des gens qui arrivent ici, qui n’ont jamais mis les pieds au Canada, qui ne connaissent pas les compagnies, les organisations qui peuvent les aider, offrir son temps c’est aussi quelque chose qui est extrêmement précieux pour les nouveaux arrivants. Celles et ceux qui ont du temps à donner, pour moi, c’est une meilleure façon d’aider que de vider son sous-sol ou son débarras.»

Partager cet article
S'inscrire
Me notifier des
guest
0 Commentaires
plus ancien
plus récent plus voté
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires