Une opération dépollution pour retirer près d’un millier de pneus du Saint-Laurent

Caroline Chatelard, La Presse Canadienne
Une opération dépollution pour retirer près d’un millier de pneus du Saint-Laurent

MONTRÉAL — Des pieds palmés d’un genre inhabituel investissent le Saint-Laurent ce week-end.

Menés par l’exploratrice et cinéaste sous-marine Nathalie Lasselin, des plongeurs bénévoles arpentent le fond du fleuve à la hauteur de Beauharnois, en Montérégie, pour sortir de l’eau des centaines et des centaines de pneus qui polluent le milieu aquatique depuis plusieurs décennies.

Ces pneus, ils viennent d’un brise-lame constitué de 40 000 d’entre eux, qui avait été installé en 1990 pour agrandir la marina de Beauharnois et qui a coulé depuis. Seulement, les pneus ont été attachés les uns aux autres par des sangles en caoutchouc contenant de l’uréthane, une substance chimique qui, à une concentration trop élevée, peut causer des dommages pour la santé. À cela s’ajoute bien sûr la pollution par microplastiques induite par les pneus eux-mêmes et par le plastique qui les entourait lorsqu’ils ont été mis à l’eau.

Il s’agit d’un nouveau type de mission pour Mme Lasselin, membre de l’organisme à but non lucratif Aqua Sub Terra, dont la vocation est la protection et la promotion des ressources aquatiques et souterraines. La plongeuse a déjà trempé ses palmes à plusieurs reprises dans le fleuve, que ce soit autour de Montréal ou dans d’autres portions et organise des opérations de nettoyage dans le fleuve depuis 2017. Elle y a vu toute sorte de choses, des classiques téléphones cellulaires et carcasses de voitures aux drones et aux armes à feu.

Ces pneus, elle a eu vent de leur existence il y a quelques années, juste après avoir traversé le fleuve de l’île Perrot jusqu’à Repentigny. «Une histoire assez triste», dit-elle. Aux premières glaces, le brise-lame en pneus «n’a pas tenu le coup», lui avait raconté l’homme. «Les pneus se sont retrouvés un petit peu sur la rive, mais surtout dans le fond du fleuve, rapporte-t-elle encore. Donc ça fait 35 ans qu’il reste des milliers de pneus dans le fond du fleuve.» C’est pourquoi l’an passé, elle a décidé de s’attaquer à ce problème.

Un problème en amenant toujours un autre, la question d’une méthode respectueuse de l’environnement s’est rapidement posée pour organiser cette plongée de nettoyage. Et en se renseignant auprès des instances gouvernementales, la seule solution qui a émergé était de sortir les pneus à la main et un par un. «C’est un processus qui va nous prendre beaucoup de temps, explique la plongeuse. On va le faire sur 15 jours où des bénévoles plongeurs et des bénévoles à la surface vont venir me prêter mainforte, parce qu’on doit sortir les pneus de la façon où notre impact sera le plus petit possible.»

Une vingtaine de plongeurs bénévoles triés sur le volet constituent les troupes de Nathalie Lasselin pour cette mission. Des plongeurs nécessairement expérimentés, car ils doivent avancer en solo avec «une visibilité zéro» et le risque de percuter des objets ou de se retrouver coincé dans des fils de pêche, explique la Mme Lasselin. Ils vont devoir couper au couteau les sangles en caoutchouc qui retiennent les pneus, les attacher à une bouée pour qu’ensuite les pneus soient sortis de l’eau depuis un bateau.

Objectif minimum de 1000 pneus récupérés

Durant ces 15 jours, elle espère retirer du fleuve entre 1000 et 1500 pneus. Un petit nombre comparé à la quantité de pneus restant sous l’eau, sur les 40 000 d’origine. Leur nombre est inconnu, car certains avaient été récupérés dès 1990 et d’autres s’étaient échoués sur le rivage et d’autres encore avaient été enlevés, car ils faisaient obstacle à la navigation, mais aucune estimation du nombre restant n’a été faite.

L’action pourrait se renouveler d’année en année. Cependant, l’exploratrice prévient que tous ne pourront être sortis de l’eau, au risque de faire plus de mal que de bien. En effet, les pneus se trouvant sous la couche de sédiments qui tapisse le fond du Saint-Laurent devront rester où ils sont, car remuer les sédiments risque aussi de remuer des couches contaminants présents depuis très longtemps, explique Nathalie Lasselin.

La motivation des bénévoles n’en est pas entamée pour autant, car il s’agit, pour reprendre les termes de Nathalie Lasselin d’une «plongée engagée». «Je crois que c’est (le fait) de faire une plongée avec un objectif, avec un but, avec une mission et de se dire ‘bah voilà! Moi j’ai la chance d’être plongeur et je peux me rendre utile en même temps, je fais quelque chose concrètement pour l’environnement’.»

Les pneus sortis de l’eau doivent ensuite être revalorisés dans un cercle vertueux, bien que la méthode puisse laisser perplexe quant à la vertu de la chose. Ils seront incinérés. Mais pas dans n’importe quel contexte. «Les pneus vont être gérés par un membre accrédité de Recyc-Québec qui est Géocycle, dans leur usine de Saint-Constant», rassure la plongeuse.

Leur incinération à une très forte température, avec des normes strictes pour limiter les émissions polluantes, servira à produire de l’énergie pour fabriquer du ciment. «Nous ne sommes pas dans un monde parfait», rappelle Mme Lasselin, mais l’incinération de ces pneus permettra d’éviter l’utilisation d’un autre combustible comme le charbon, car l’hydroélectricité ne suffit pas pour fournir l’énorme quantité d’énergie nécessaire à la production du ciment.

L’autre objectif de l’opération est bien sûr de sensibiliser la population à la pollution de l’environnement par nos déchets. «On ne peut plus se promener aujourd’hui où que ce soit dans la forêt boréale et ailleurs, sans voir des traces du passage de l’humain, que ce soit la canette d’aluminium, les plastiques, les déchets, les emballages de café, etc.», s’insurge l’organisatrice de la mission. «On va poser une action pour finalement dire au monde, ‘vous savez quoi ? On peut changer les choses’.»

Le Saint-Laurent, rappelle Nathalie Lasselin, malgré ses eaux aux teintes vert brun clairement moins engageantes qu’un lagon de carte postale, est un milieu très riche où de nombreuses espèces animales et végétales se côtoient, tandis que les effets délétères de nos déchets sont encore méconnus, mais modifient le milieu aquatique.

L’exploratrice engagée attend la fin de l’opération pour évaluer la capacité de l’équipe à retirer des pneus et ce qui peut être fait en plus. Mais elle compte bien organiser une nouvelle mission de cette ampleur l’année prochaine.

Partager cet article
S'inscrire
Me notifier des
guest
0 Commentaires
plus ancien
plus récent plus voté
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires