Une police autochtone régionale à Winneway ouvre la porte à une police algonquine

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
Une police autochtone régionale à Winneway ouvre la porte à une police algonquine

MONTRÉAL — La première étape en vue de doter la communauté autochtone de Winneway, au Témiscamingue, d’un corps de police vient d’être franchie et pourrait jeter les bases d’un vaste projet de desserte policière autochtone pour l’ensemble des neuf communautés algonquines du Québec.

Une entente a été conclue entre le Conseil de la Première Nation de Long Point et le gouvernement du Québec qui permettra la création d’un nouveau corps de police régional auquel sera intégrée la communauté de Winneway, privée de son propre corps de police depuis 2006.

Cette première étape consiste à mettre sur pied un corps policier composé de patrouilleurs autochtones des communautés de Kebaowek First Nation, de Temiscaming First Nation et de patrouilleurs de la Sûreté du Québec (SQ).

Rejoint par La Presse Canadienne mercredi, le chef de la Première Nation de Long Point, Steeve Mathias, a expliqué qu’on s’était déjà doté d’une roulotte qui servira de poste de police temporaire, roulotte qui reste à être meublée et reliée au réseau d’Hydro-Québec. Il s’attend à ce que le projet soit fonctionnel d’ici un mois environ.

Un premier ménage à trois avec la SQ

«Kebaowek est à deux heures d’ici et Temiscaming est à une heure et quart. Les premiers huit mois, ce sera une desserte partagée entre les trois corps de police et on va avoir environ 12 heures de patrouille par jour», a expliqué le chef Mathias. Le reste du temps, un système de communications entre Winneway et les trois corps policiers permettra le maintien d’un contact pour gérer toute urgence.

D’ici au 31 mars 2023, on espère tout mettre en place pour lancer la seconde étape, soit la création d’un nouveau corps de police autochtone régional dont l’objectif ultime est d’éliminer entièrement la présence de la Sûreté du Québec à Winneway.

La SQ assurait une présence sporadique et insuffisante, son poste local étant situé à une centaine de kilomètres de la communauté.

La demande de retour d’un corps policier s’était faite pressante en juillet de l’an dernier à la suite d’un incident qui en avait démontré la nécessité. Des citoyens avaient alors été forcés d’intervenir eux-mêmes pour désarmer un individu en crise, faute de policiers.

En octobre dernier, le Conseil de Long Point et le gouvernement Legault s’étaient entendus pour aller de l’avant avec la création d’un corps policier autonome.

«C’est une initiative que Mme (la ministre de la Sécurité publique et vice-première ministre Geneviève) Guilbault et le ministre (des Affaires autochtones Ian) Lafrenière qui ont discuté avec nous pour qu’on puisse servir d’exemple à d’autres communautés dans la province parce que, selon le gouvernement, il y a trop de corps de police autochtones et ils essaient de réduire le nombre de corps de police», a dit le chef Mathias.

Une première chez les Algonquins

«Chez les Algonquins, c’est la première fois que ça va se faire», note le chef Mathias, qui s’y connaît en affaires policières autochtones, puisqu’il a lui-même été policier à Winneway durant six ans, dans les années 1970-80, au sein de ce qu’on appelait à l’époque la police amérindienne.

«Ayant oeuvré comme policier autochtone chez les Algonquins, je suis d’accord avec la formule que Mme Guilbault avance, de faire des corps de police régionaux avec des nations.»

Une première étape fort importante sera de régler la question assez complexe de gouvernance d’ici au printemps 2023, explique-t-il.

«Il y a beaucoup de travail à faire de ce côté-là. Il y a des idées, des options qu’on est en train de considérer, comme une commission de sécurité publique. On pourrait se doter d’une structure indépendante des trois communautés anishnabe (algonquines) et nommer des personnes qui siègent sur cette commission pour voir à l’administration et aux opérations du corps de police. On va se doter d’un plan stratégique de sécurité publique pour les trois communautés, que ce soit adapté à notre culture.»

Une approche adaptée

Il s’agit là, en effet, d’un élément crucial à la réussite du projet. «La clé du succès, c’est dans l’approche. Si tu essaies d’avoir une approche cavalière dans une communauté autochtone, tu vas te mettre beaucoup de monde à dos. Mais si tu as une approche beaucoup plus adaptée à la culture, ça va.»

Les exemples de ce qu’il ne faut pas faire ne manquent pas. «Je vois des policiers faire de la patrouille. Ils ne débarquent pas de leur auto et circulent assez vite. Les gens n’aiment pas ça. Ils ne trouvent pas ça correct. D’autres viennent, débarquent de l’auto-patrouille et vont faire de la patrouille à pied. Ça, les gens aiment ça. Ils se disent: « ok, là ils veulent s’intégrer au sein de la communauté ». Tout est dans l’approche», répète-t-il.

L’intérêt envers la police autochtone est déjà là, dans la communauté, raconte Steeve Mathias. «On est en train de recruter. J’ai déjà un jeune homme de la communauté qui s’en va suivre sa formation à Regina avec la GRC. C’est sûr qu’on aimerait avoir une femme aussi qui irait suivre cette formation-là. Aujourd’hui, dans les corps de police, ça prend des femmes aussi quand vient le temps de faire des arrestations. Elles font du bel ouvrage les femmes policières. Elles ont une autre approche.»

Vers une police algonquine?

Puis, c’est à ce moment qu’il parle d’étendre le concept à l’ensemble des Algonquins du Québec. «Les Algonquins au Québec, on est neuf communautés. Avec la nation algonquine, idéalement, si on pouvait avoir un seul corps policier régional pour tous les Algonquins, je pense que ce serait la formule la mieux adaptée.»

Il fait valoir que les communautés de Wolf Lake, de Kitcisakik et du Lac Barrière n’ont pas de corps de police non plus. «Quand l’annonce a été faite l’automne dernier par Mme Guilbault et le ministre Lafrenière, les autres communautés ont manifesté un intérêt pour se joindre à ce qu’on est en train de faire. Mais le gouvernement a dit: on va commencer avec les trois communautés du Témiscamingue et on va mettre tous nos efforts et notre énergie là en premier en espérant qu’on peut mettre quelque chose en place qui va répondre à la réalité et aux besoins de la communauté et, une fois qu’on aura fait ça, là on pourrait élargir, aller chercher les autres communautés qui désirent se joindre à notre projet.»

Au Québec, seules les communautés crie et inuit ont des corps policiers régionaux. Un projet qui réunirait l’ensemble des communautés algonquines serait une première dans le sud du Québec et représenterait une percée majeure dans le domaine policier autochtone.

D’ici là, toutefois, Winneway se concentrera sur son projet régional à trois. Le chef Mathias n’a d’ailleurs pas caché sa reconnaissance envers ses vis-à-vis Arden McBride, chef de la Timiskaming First Nation, et Lance Haymond, chef de Kebaowek, pour leur solidarité dans cet effort. On sent également dans ses propos une reconnaissance certaine envers les ministres Guilbault et Lafrenière, une occasion de rapprochement qu’il n’a pas hésité à saisir dans un contexte où les relations entre les peuples autochtones et le gouvernement Legault ne sont pas toujours harmonieuses.

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